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Enfin un livre qui prend du recul sur les effets néfastes du numérique sur l'humanité et ne se contente pas de décrire les effets vertigineux de la technique dont nous avons tous perçu les changements en une quinzaine d'année. Car il est bien question de l'humanité et d'histoires humaines dans ce livre qui relate, de façon très précise et fouillées des faits divers qui sont les marqueurs de phénomènes à plus large échelle :
- Les youtubeurs qui se donnent en spectacle
- La vie rêvée d'un couple d'influenceurs qui se termine par le suicide d'un des deux
- le couple virtuel jusqu'à la fin de l'influence
- le phénomène de mukbangs importé de Corée et mondialisé
- Les amants numériques maudits
- Les robots conversationnels et leurs dérives
- Un réseau au service des mégalomanes en tous genres
- Les arnaqueurs en ligne
- L' érotomanie facilitée
- Comment Mark Zuckerberg est devenu l'homme qui a tué l'amitié ?

C'est une véritable plongée dans les ténèbres de l'univers mangeur de temps qui a envahi nos vies : l'Internet ou « Infernet » (comme enfer). Mais avec prise de recul et références à la culture populaire d'avant l'internet ou à quelques écrivains et penseurs modernes (avant l'internet aussi).

Quelques extraits picorés dans ce bel ouvrage ci-dessous.

Je ne peux que vous conseiller de l'acheter en librairie, par exemple à la librairie Monte en l'air, où je suis allé le prendre ce week-end (voir photo). Car oui, IRL (in real life), nous avons encore la chance d'avoir des lieux où la convivialité existe, où l'on ne se cache pas derrière un écran, et de beaux remèdes à la mort qui nous est promise.

Allez salut, comme dirait la préface !

Jean BAUDRILLARD (à propos de la téléréalité) : « A l'heure où la télé et les médias sont de moins en moins capables de rendre compte des évènements (insupportables) du monde, ils découvrent la vie quotidienne, la banalité existentielle, comme l'événement le plus meurtrier, comme l'actualité la plus violente, comme le lieu même du crime parfait. Et elle l'est en effet et les gens sont fascinés, fascinés et terrifiés par indifférence du rien à dire, rien à faire, par l'indifférence de leur existence même. La contemplation de la banalité comme nouveau visage de la fatalité et devenue une véritable discipline olympique, ou le dernier avatar des sports extrêmes. ».


Ce que nous célébrons à travers le monde numérique, c'est le spectacle de notre propre destruction. Internet donne raison à Walter Benjamin lorsque celui-ci disait de l'humanité qu'elle s'est « suffisamment aliénée à elle-même pour être capable de vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de tout premier ordre ».

Parmi les amours épistolaires les plus célèbres, celui de Franz KAFKA et Milena Jesenska a sans doute une place à part. Ils ne se sont vu que deux fois mais KAFKA lui a écrit une centaine de lettres. Dans une de ces lettres, il exprime une vision incroyablement prophétique de l'amplification de la communication à distance dans les relations amoureuses.
« Comment a pu naître l'idée que des lettres donneraient aux hommes le moyen de communiquer ? se demande KAFKA, la grande facilité d'écrire des lettres doit avoir introduit dans le monde une terrible dislocation des âmes : c'est un commerce avec des fantômes, non seulement avec celui du destinataire, mais encore avec le sien propre ; le fantôme grandit sous la main qui écrit dans la lettre qu'elle rédige, à plus forte raison dans une suite de lettres, où l'une corrobore l'autre et peut l'appeler à témoin. Les baisers écrits ne parviennent pas à destination, les fantômes les boivent en route ».
Après le télégraphe sans fil, l'adversaire a inventé le téléphone puis il a inventé le mail, les SMS, Messenger, WhatsApp. Les nouveaux outils de communication ont accentué cette « terrible dislocation des âmes ». La communication est quasi immédiate, l'écriture pulsionnelle, …, des mots qui nous entrainent mutuellement dans une montée aux extrêmes, une escalade comparable à celle de deux pays à la veille d'un conflit armé, et que la communication face à face, par un sourire ou un regard, aurait pu apaiser.

Le monde est un labyrinthe et, à ce labyrinthe le Web a ajouté un second labyrinthe, celui de toutes nos images, de tous les signes que nous émettons quotidiennement et qui, lorsque nous disparaîtrons, plongeront les internautes du futur dans une cyber-enquête infinie comme dans les vers de Baudelaire :
Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets doux, de procès, de romances,
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
Cache moins de secrets […]
…..que les sites des internautes qui ne sont plus.

C'est internet, un labyrinthe qui redouble le labyrinthe du monde, une entité qui promet beaucoup mais ne vous donnera rien et vous fera perdre votre temps ; un monde où l'on vous teste, où l'on vous séduit, où l'on vous met à l'épreuve et où on vous abandonne. Un jeu dont on doit connaître les règles, sauf qu'elles changent sans arrêt ; un groupe qui se présente comme libre et qui vous veut comme disciple ; une opposition au pouvoir mais qui reproduit les méthodes du pouvoir.

Youtube n'a pas inventé le besoin d'intention. Mais il a encouragé cette tendance, si facile à exciter chez l'être humain, à se comporter en une « Miss Regardez-moi ». Et chez chacun d'entre nous, lorsque nous prenons la parole en public ou intervenons dans le collectif, il y a une négociation entre notre besoin de justice et notre désir de pouvoir.

Il est impossible de ne pas voir que la prolifération de ces petits arnaqueurs n'est que le produit d'un système économique mondial qui ne peut plus intrinsèquement profiter qu'aux criminels. Et les hommes qui maintiennent par intérêt personnel des multitudes d'autres hommes dans l'extrême pauvreté peuvent être vus comme de très grands arnaqueurs.

La solitude est en progression constante dans la majorité des pays riches. Sans cette progression de la solitude, il n'y aurait pas d'arnaques sentimentales en ligne. Aux États-Unis ils sont 28% vivant seuls, ce qui représente 37 millions de personnes. En France 16 %. C'est une situation totalement inédite dans l'histoire de l'humanité.
Nous vivons dans un monde où nous sommes de plus en plus solitaires et visités par le malheur. Nous vivons dans un monde qui s'est laissé provisoirement envahir par sa part ténébreuse mais il contient également sa contrepartie lumineuse présente en chacun de nous et qui attend encore de s'actualiser car c'est un monde où nous pouvons également devenir plus généreux que nos prédécesseurs, plus lucides, plus exigeants, plus singuliers, plus sensibles, plus ouverts, plus compréhensifs, plus soucieux de réparer les injustices de tous les siècles passés et de ne pas reproduire les systèmes de domination des générations précédentes. C'est le monde décrit dans ses paroles entendues en rêve par Paul McCartney et chantées dans le dernier ni hymne des Beatles initialement offert à Aretha Franklin et publié en 1970 Let it be :
And when the broken hearted people living in the world agree
There will be an answer, let it be
For though they may be parted, there is still a chance that they will see
There will be an answer, let it be

Le monde est une lettre d'amour que l'humanité s'écrit à elle-même. Mais c'est une lettre qui a été bâclée écrite avec fébrilité et dans une sorte de transe pleine de contresens, de faux amis, de maux barrés et de parties illisibles. Une lettre qui n'a pas été relue avant postage, qui n'a pas été correctement affranchie et qui n'est pas arrivée à destination. Son enveloppe n'a même pas été décachetée son auteur l'a oublié.
Internet n'a pas plus inventé la folie que la solitude ou le malheur. Mais les réseaux sociaux ont donné à la folie une nourriture inestimable: une émission quasi permanente de signes dont la nature est ambiguë.
Et en attendant la mort des réseaux sociaux, on peut déjà souhaiter celle de Facebook. Ce que Facebook aura fait de plus moche c'est détruire consciemment et par intérêt des sentiments humains nobles comme l'affection la tendresse de respect ou la confiance que nous portons aux autres. H Facebook a compensé la décrépitude des organes de presse traditionnels en faisant de nous les collaborateurs du plus grand média du monde mais en contrepartie il nous a mis en concurrence et nous a divisés. On s'est mis à regarder le nombre de like que recevaient nos amis et on a commencé à faire ce qui était en notre pouvoir pour en obtenir autant. Tant que nous resterons pathétiquement attachés à l'idée de le faire à travers les réseaux sociaux, il sera pour nous totalement impossible d'améliorer notre condition présente. Ce n'est pas fatal mais c'est algorithmique. …. On a beaucoup de mal à penser quelque chose quand on patauge dedans.
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