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Critique de jongorenard


Dans "Journal de nage", Chantal Thomas se jette à l'eau en toute simplicité. En raison de la forme fragmentaire du journal, il est difficile d'en faire un résumé. Je dirai seulement qu'il couvre l'été 2021 après la crise sanitaire. Il est précédé d'intéressants chapitres sur le confinement et les problèmes liés au corps qu'il a soulevés.
Le titre pourrait suggérer un texte léger ou superficiel, mais il n'en est rien. Une phrase de Kafka en exergue — « comme sont éloignés par exemple les muscles de mes bras » — annonce la couleur en plaçant d'abord le texte sous la protection d'un immense auteur et ensuite en nous rappelant l'importance des bras, certes pour la nage, mais aussi pour l'écriture… et pour de nombreuses autres activités pourrait-on arguer. Quoi qu'il en soit, cette phrase lue pendant le confinement a profondément touché Chantal Thomas, elle l'a atteinte, elle l'a traversée, elle a commencé de la faire réfléchir sur l'aventure de son corps durant cette période. Chantal Thomas s'est rendu compte comme beaucoup d'autres confinés qu'une partie de son rapport au monde était en train de changer, que l'angoisse de l'isolement et des restrictions faisait dépérir et même disparaitre l'énergie ou la joie qui surgit du corps dans un rapport harmonieux au monde. Personnellement, je ne me suis pas reconnu dans ce constat, mais je partage tout de même l'idée que l'épidémie nous a fait percevoir l'autre, son corps, son souffle, comme une menace, une impression qui m'était totalement étrangère avant cela.
Cette sombre introduction au journal ne rend que plus lumineuse la suite dans laquelle elle raconte jour après jour durant l'été 2021 comment la nage, la lecture et l'écriture, dans un même mouvement, lui ont permis d'exulter, de se réapproprier son corps et de retrouver santé mentale et physique. Les séances de nage sont décrites de manière très sensuelle avec le corps comme objet d'étude. Il y a tout d'abord l'entrée dans l'eau, c'est-à-dire l'entrée « dans un autre mode d'être » avec l'appel de la mer malgré sa froideur ou sa rudesse. Puis vient le temps des premières brasses « avec le bien-être d'un réchauffement au rythme [des] mouvements, la sensation d'une étrange familiarité. » Chantal Thomas s'éloigne de la plage, échappe à sa vie quotidienne, met à distance son existence. Ses réflexions jaillissent en courtes phrases : « La mer n'a pas d'âge. Elle ne procède pas, à l'image des montagnes, par strates successives datables. L'effacement est son principe. Chaque vague annule la précédente. Être propulsé dans l'intemporel constitue un élément de la joie de nager. La mer n'a pas d'âge, le nageur non plus. » C'est aussi l'occasion de délicates descriptions du paysage, de la côte, celle du Château de l'Anglais, celle de végétaux… Il y a aussi les rencontres de baignade, avec des personnages que je garderai longtemps en mémoire comme le nageur-chanteur d'air d'opéra ou Adam, le petit garçon avec qui Chantal Thomas dialogue sur la plage. Tout le talent de la romancière s'exprime là avec ces personnages qui traversent son existence de manière fugace.
Parallèlement à la nage qui libère son corps confiné, chaque jour Chantal Thomas s'immerge également dans la littérature, dans la lecture d'autres écrivains, dans l'écriture de ses notes. Cette plongée dans les écrits nous emmène à la rencontre de textes de Florence Delay dont j'ai aimé le dernier "Il n'y a pas de cheval sur la route de Damas", ceux de Paul Morand, de Patrick Deville, de Kafka. On voyage aussi avec Roland Barthes, Victor Hugo, Lord Byron. La littérature devient alors nourriture spirituelle, une dimension que je partage totalement. Moins intimes, ces digressions, bien que ne manquant pas d'intérêts, m'ont moins touché que les parties sur la nage.
Je recommande néanmoins cet intime "Journal de nage" pour la joie post-confinement du retour à soi-même et au monde qui en émane. Chantal Thomas a été bien inspirée de garder une trace sur le papier de ses activités aquatiques qui paradoxalement n'en laissent pas dans l'eau.
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