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Critique de enjie77


Passionnant même si parfois, sur les six cents pages, je me suis essoufflée un peu. La tribu Mann, les parents et grands-parents entraînent une abondance de portraits sans lesquels, il serait difficile de cerner le contexte familial avec discernement comme il eut été difficile de ne pas évoquer les Roosevelt, Alma Malher et Christopher Isherwood.

L'écriture de Colm Toibin, traduit de l'irlandais par Anna Gibson, est agréable, fluide, visuelle, sans artifice. Elle permet d'entrer facilement dans l'intimité de la famille Mann et d'aborder avec une acuité accrue, la complexité de ce génie littéraire, nobélisé en 1929, Thomas Mann, celui que ses enfants appelaient « le Magicien ».

Malgré les excellents billets qui ont déjà été rédigés sur cette biographie romancée de Colm Toibin, il m'a semblé utile d'apporter ma modeste contribution afin d'inciter les indécis à se plonger dans ce roman qui bénéficie d'une recherche approfondie mais surtout, qui ouvre des portes sur la création littéraire, ses motivations et l'ambivalence d'un des plus grands auteurs allemands du vingtième siècle.

Colm Toibin se glisse, s'immisce, dans la tête de Thomas Mann qu'il accompagne depuis sa naissance, à Lubeck en 1875, jusqu'à son décès à Zurich, en 1955, en passant par Sanary-sur-mer dans le Var et les Etats-Unis, l'auteur chemine à ses côtés. La famille, l'époque, les évènements, tout est passé à la lumière d'un travail de documentation rigoureux et, il me semble, aussi d'une certaine proximité avec son modèle.

Connaissant certains ouvrages de Thomas Mann, ayant lu les mémoires de son fils Klaus, il m'est apparu intéressant, à la fois, de découvrir l'origine de certains ouvrages du Magicien comme de procéder à une approche plus large des ressentis de chacun en comparant avec les mémoires de Klaus.

A travers l'histoire de la famille Mann, c'est une vision en accéléré du vingtième siècle qui nous est proposée et qui tout comme « Mémoires d'un européen de Zweig » et les mémoires d'Ernst Toller sur la République des conseils de Bavière, nous permet de mesurer avec force, la fureur qui a traversé l'Europe tout au long de ce 20ème siècle sans oublier ces années d'entre deux-guerres où, même dans les milieux réputés « intellectuels », régnait une certaine incrédulité devant les élucubrations d'Hitler.

Cette biographie romancée s'alimente des tourments du 20ème siècle, des drames auxquels la famille Mann a été confrontée. Rien ne sera épargné à Thomas Mann. de la judéité de son épouse, Katia, dont cette dernière ne faisait pas cas jusqu'à ce que les nazis le lui rappellent, de la vie tumultueuse et des prises de positions de ses enfants terribles qu'étaient Erika et Klaus, des épreuves douloureuses d'Heinrich, des deuils, des déménagements successifs, sans compter la période du maccarthysme qui est l'épisode qui m'a le plus interpelé, le mauvais sort s'est vraiment acharné sur cette famille malgré un Prix Nobel, un auteur acclamé dans le monde entier, un couple très uni – ce que leurs enfants leur reprocheront d'ailleurs et un univers d'une grande culture tant littéraire que musicale.

De cette lecture, le lecteur peut méditer sur la versatilité du destin tout comme sur l'opportunisme de certains pays d'accueil. Ce livre est riche d'enseignements. Il démontre aussi qu'il fut très difficile à Heinrich et Klaus d'être le frère et le fils de cette célébrité écrasante et étouffante qu'était le Magicien.


Colm Toibin décrit avec délicatesse l'homosexualité refoulée de notre Prix Nobel. L'auteur, lui-même homosexuel, sait décrire avec beaucoup de doigté, les pensées de Thomas Mann à la vue d'un beau garçon,- il y a de très beaux passages sensuels - comme toute biographie romancée, il joue à l'équilibriste entre le chercheur érudit et le romancier.

Au fur et à mesure des évènements, l'auteur dépeint l'évolution des opinions politiques de Thomas Mann. Enfermé tous les matins dans la tour d'ivoire de l'écrivain – son bureau – il vit au rythme de sa création littéraire. On ressent parfois à quel point Thomas Mann est désorienté par rapport à la réalité qui lui échappe. Mais sa personnalité littéraire, spirituelle, évolue, elle touchera à la perfection tant ses oeuvres sont profondes et multiples, toujours à chercher le juste milieu entre l'humanisme et la politique. Ses récits resteront un témoignage des plus éloquents de cette période du 20ème siècle. Je suis ressortie enchantée de cette lecture. Après une telle lecture, je ne lirai plus Thomas Mann avec le même regard, c'est, à mes yeux, tout l'intérêt de ce roman. Je vais, de ce pas, ressortir les Buddenbrook de ma bibliothèque !
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