— Quel temps fait-il ?
— Brumeux et frais, mais avec le soleil, ça va s’arranger.
Presque tous les jours, il posait la même question. Sa femme se levait la première et, dès qu’elle était debout, elle ouvrait les fenêtres et repoussait les volets. Lui, la laissait faire et s’inquiétait du temps. Depuis qu’il était en retraite des Etablissements militaires où il avait passer quarante années de sa vie à fabriquer des chars et des canons, le temps réglait la vie de Lucien Sauvestre. S’il faisait mauvais, il demeurait chez lui à bricoler dans le sous-sol de son petit pavillon qu’il aménageait méticuleusement. Avec maniaquerie, disait sa femme. En fait, il ne pouvait rien faire, même planter un clou, sans se servir d’un mètre ou d’une équerre. Déformation professionnelle sans doute puisqu’il était, de son métier, ajusteur de précision.
Au fur et à mesure qu’il avançait, son cœur s’affolait dans sa poitrine. Cela s’affirmait de plus en plus : il s’agissait d’un corps humain. Pour être plus précis, c’était celui d’une femme. Elle était couchée sur le dos et ses yeux grands ouverts regardaient fixement le ciel. La rosée avait recouvert son visage et ses vêtements, preuve qu’elle était là depuis plusieurs heures. Elle avait certainement été déposée au cours de la nuit. Son âge devait être dans la soixantaine, à peu près le sien, à lui, Sauvestre. Sa mise dénotait une certaine élégance. Sobre mais bien. A l’annulaire, elle avait une alliance. A l’autre main, une belle chevalière en or. A son poignet, une montre de valeur. Aucune trace de sang sur son visage ni sur ses vêtements.
Lorsqu’il faisait beau, il allait au « marais », comme on a l’habitude de dire au chef-lieu berrichon. Tous ceux qui connaissent l’ancienne capitale de la Gaule, l’ex-Avaricum, vous diront qu’elle a été construite dans une cuvette et que les deux rivières principales qui la traversent, l’Auron et l’Yèvre, sont bordées de véritables marais qui sont devenus, pour les Berruyers amateurs, de magnifiques jardins. Bien sûr, il y a l’inconvénient des crues subites et imprévues qui détruisent parfois le labeur des hommes mais les légumes et les arbres fruitiers y poussent bien. Pour beaucoup de gens, surtout pour les retraités, le « marais » est devenu une véritable passion.
Lucien Sauvestre avait beaucoup marché tout en se rappelant ses souvenirs. Il arrivait maintenant à la porte de son jardin.
Il cherchait dans sa poche la clé de son cadenas lorsqu’il eut l’impression, qu’à une vingtaine de mètres, au beau milieu des orties, se trouvait une forme allongée qui n’y était pas la veille. Intrigué, il se dirigea vers elle.
Quand on avait traversé la cimenterie, on arrivait directement à la rivière par un chemin en pente qui avait dû être un très ancien abreuvoir. Il y avait même encore un fermier de la rue de Lazenay qui y menait boire ses vaches.