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Citations sur Le disparu (7)

Je ne voulais ressembler à personne et à mon frère Arnold moins que quiconque. Ma ressemblance stupéfiante avec Arnold eut pour conséquence que je commençai à ressembler de moins en moins à moi-même.
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[...] il ne leur serait jamais venu à l'idée de renoncer à ces excursions dominicales car elles étaient destinées d'abord à la préservation des forces laborieuses et constituaient, encore, un devoir dû au respect chrétien du dimanche. N'empêche que mes parents étaient incapables de profiter, ne fût-ce qu'à petites doses, des loisirs et de la détente. Au début, j'avais cru expliquer cette incapacité par leur origine souabe et piétiste d'une part, et de l'autre par leurs racines prussiennes, car je savais par les récits de mes parents que les piétistes souabes et les Prussiens orientaux étaient incapables de goûter ne fût-ce qu'un semblant de loisirs et de détente. Plus tard, j'avais fini par comprendre que leur incapacité à jouir des loisirs et de la détente avait un lien avec la disparition de mon frère Arnold et avec cette chose horrible que les Russes leur avaient, surtout à ma mère, infligée. J'avais, il est vrai, l'impression que ces excursions ratées me faisaient personnellement plus souffrir que mes parents car, pour mes parents, persuadés comme ils l'étaient que l'homme n'était pas sur terre pour faire des excursions mais pour travailler, ces excursions, dans un certain sens, ne pouvaient être que gâtées.
(p. 19)
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Plus le poids du souvenir menaçait de pétrifier ma mère, plus mon père s'activait. Lui qui, deux fois de suite, après chacune des guerres mondiales, avait eu l'infortune de perdre sa maison et sa ferme et qui, après la dernière, était venu les mains vides s'installer à l'est de la Westphalie, avait alors, pour la troisième fois, réédifié ce qu'on appelle une existence. Il aurait pu vivre en paix mais pour lui, la paix n'existait pas.
(p. 40)
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Mes parents n'étaient encore jamais partis en voyage et moi non plus, je n'avais jamais fait de voyage. Le voyage à Heidelberg qui devait durer en tout trois jours fut l'unique parcours relativement long que j'eusse jamais fait avec mes parents. Mes parents ne voyageaient pas. A cause du commerce, prétendaient-ils. Mais en réalité, s'ils ne voyageaient pas, c'était à cause de l'exode. L'exode, certes, n'avait pas été un voyage, mais tous les voyages semblaient leur rappeler l'exode. Un paysan de Rakowiec n'abandonne pas sa maison de son propre gré. Qui abandonne sa maison commet un péché. Les Russes sont à l'affût de celui qui abandonne sa maison. Lorsqu'on abandonne sa maison, celle-ci est livrée au pillage et vouée à la ruine.
(p. 103)
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Un paysan de Rakowiec n'écoute pas de musique d'opérette. Un paysan de Rakowiec est à l'écoute des bestiaux dans l'étable, du vent dans les champs et du carillon de l'église.
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Arnold était devenu mon ami et il serait demeuré mon ami si ma mère ne m'avait convoqué un jour à ce qu'elle appela une "explication". Ma mère ne m'avait encore jamais convoqué à une explication et mon père non plus. Durant toute mon enfance et les premières années de ma jeunesse, il ne m'était jamais arrivé d'être convié à une explication ou même à un semblant d'explication. Pour communiquer avec moi, mon père se contentait d'ordres brefs et de directives de travail, et quand ma mère me parlait, ce qui arrivait, la conversation débouchait toujours sur mon frère Arnold et s'achevait par des larmes et par le silence. Ma mère aborda l'explication en déclarant que j'étais à présent, assez grand pour apprendre la vérité. "Quelle vérité ?", demandai-je à ma mère car je craignais qu'il pût éventuellement s'agir de moi. "Il s'agit, dit ma mère, de ton frère Arnold." D'un coté, je fus soulagé d'apprendre qu'il s'agissait une fois de plus d'Arnold, mais en même temps, j'enrageais. "Qu'est-ce qu'il se passe avec Arnold?" Dis-je, et ma mère sembla à nouveau au bord des larmes, ce qui m'amena spontanément mais un peu étourdiment, à demander s'il était arrivé quelque chose à Arnold, question à laquelle ma mère répondit d'un air perplexe. "Arnold" dit ma mère sans autre préambule, "Arnold n'est pas mort. Il n'a pas non plus succombé à la faim. ce fut à mon tour d'être perplexe et aussi un peu déçu. mais au lieu de me taire, je demandai à ma mère, de nouveau sans trop réfléchir, de quoi Arnold était-il alors mort. "Il n'est pas du tout mort", dit ma mère une fois de plus, et sans la moindre émotion, "il a disparu"
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Mon frère se tenait à croupetons sur une couverture de laine blanche et riait en direction de l'objectif. C'était la guerre, disait ma mère, la dernière année de la guerre, "chez nous". "Chez nous", c'était à l'est du Reich et mon frère était né dans les provinces de l'Est. En prononçant les mots "chez nous", elle se mettait à pleurer, comme il lui arrivait souvent de pleurer lorsqu'il était question de mon frère. Il s'appelait Arnold, le même prénom que mon père. Arnold était un enfant joyeux, disait ma mère, tout en contemplant sa photo. Puis elle se taisait, et je me taisais moi aussi, et contemplais Arnold à croupetons sur sa couverture de laine blanche avec son air réjoui. Je ne sais ce qui réjouissait Arnold, on était finalement en guerre, il se trouvait en outre à l'est du Reich et cela ne l'empêchait pas d'être joyeux. J'étais jaloux de la joie de mon frère, j'étais jaloux de la couverture de laine blanche de mon frère et j'étais également jaloux de son emplacement dans l'album de photos.Arnold occupait la première place dans l'album, avant même les photos de mariage de mes parents et les portraits de mes grands-parents, alors que moi, j'était loin en arrière. En outre, Arnold figurait sur une photo d'assez grand format alors que les photos sur lesquelles je figurais moi- même étaient, la plupart, petites, voire minuscules.
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