Memorial Drive
Mémoires d'une fille
Natasha Trethewey
récit
traduit de l'anglais (E.-U.) par
Céline Leroy
Editions de l'Olivier, 2020, 217p
C'est un récit autobiographique, le parcours d'une fille qui a voulu oublier le meurtre de sa mère. Un jour, la nécessité de revenir sur l'événement s'impose. Elle tente de rattraper les souvenirs qu'elle a essayé d'occulter.
D'emblée, le lecteur sait que sa mère est morte assassinée à Atlanta en 1985. La narratrice a 19 ans. Atlanta est la capitale de la Géorgie, qui a joué un rôle important dans la guerre de Sécession et le mouvement des droits civiques de 1960. La guerre de Sécession fait partie des thématiques récurrentes de N. Trethewey.
L'exergue du livre, de Martin Bubber, est : « Tout a une destination que le voyageur ignore ».
Quelle est cette destination ? Tasha n'écrit que pour, le moment venu, raconter sa mère, et rendre hommage aux femmes qqui l'ont faite. La route de la mémoire la conduit à ce récit, qui devait sortir des ténèbres du passé vers un avenir lumineux, pas sûr, mais Tasha a compris qu'il n'était plus l'heure d'oublier.
La narratrice est métisse, fille d'un Blanc qui a grandi dans la campagne de Nouvelle-Ecosse au Canada, et qui parle par métaphores, à l'instar du poète Robert Frost, et d'une Noire qui fait des études de théâtre et adore la musique, les Temptations. Son père lui dit qu'elle double ses chances, du fait de son métissage : Tu as le meilleur des deux mondes ». Soit, mais sa qualité de métis la met face à beaucoup de questions de la part de ses condisciples blancs. Sa mère, en tant que Noire, subit des vexations. le Ku Klux Klan rôde, exerce la terreur. le couple mixte bat de l'aile. Ses parents se séparent. Sa mère et elle vivent seules. Puis Joe arrive, qu'elle appellera Big Joe. Un fils naîtra. Joe bat sa mère, emmène Tasha faire des tours en voiture sur la
Memorial Drive qui l'angoissent, lit son journal intime qu'il a décadenassé. le refuge pour Tasha est l'école, où elle travaille très bien pour faire plaisir à sa mère, et les livres, comme Lumière d'août parmi d'autres.
Le pire est prévisible, la mère appelle la police et se met sous la protection d'une Association de Femmes battues. Elle ne dit rien à sa propre mère. Pourquoi faut-il que les femmes battues se taisent ? Tasha se tait elle aussi, comme une Cassandre (nom que lui donnait son père dans les histoires qu'il écrivait) muette. Petite, elle soignait la plante qu'on appelle canne du muet. Une fois cependant, elle dit à son institutrice qu'elle admire que sa mère est battue par son mari. Elle sait aussitôt que l'institutrice ne fera rien.Ni la police ni l'Association ne se démènent beaucoup pour mettre fin à cette situation qui dérive. du reste, on note bien l'indifférence ambiante quand le gardien de l'immeuble demande l'autorisation d'enlever immédiatement les taches de sang, facilement enlevables quand on s'y prend tôt.
Joe ne supporte pas que sa femme ne soit pas toute à lui. Il a divorcé pour elle. Il la menace, menace sa fille. Il retrouve celle-ci à son entraînement de pom-pom girls. Par hasard, Tasha le salue amicalement. Ainsi, sans qu'elle le sache, elle sauve sa vie. Dans son besoin de tuer, Joe tire sur sa mère. Tasha va se mettre dans la tête qu'elle est coupable
Quand elle raconte les souvenirs d'enfance de Tasha, l'autrice reste en retrait. C'est écrit dans une forme presque académique. La conversation téléphonique et qui dure, dure, que la mère a avec Joe et qui est enregistrée, agace. Pourquoi la mère parle-t-elle si longtemps ? Puisqu'elle répond à d'autres interlocuteurs, ne pouvait-elle pas faire appeler la police ?
Memorial Drive, autrefois la Fair Street, est une grosse artère qui termine à Stone Mountain, le lieu de commémoration des Blancs, le plus grand monument dédié aux états confédérés- qu'on fête le 26 avril, jour de naissance de Natasha- « métaphore prégnante pour l'esprit des Blancs du Sud ». Et pourtant, c'est une Noire -qui ne voulait pas se servir d'une arme contre l'ennemi (blanc) qui meurt à cause d'un Noir qui veut en faire sa chose.
Ce livre est empreint de discrétion, de tristesse, et enquête sur un refus, comme s'il avait fallu qu'on tourne la page avant d'avoir fini de la lire. L'autrice, élevée dans les Lettres et maîtrisant les formes de langage indirectes, (se) devait (de) revenir sur ce refus, sur ce deuxième coeur qui aidait le sien à battre bien.
Natasha Tretewey , née en 66 dans le Mississipi, est poète et professeure d'université. Elle a obtenu le prix Pulitzer de poésie en 2007 pour son recueil Native Guard, dédié à sa mère.