Alexandre III : Le Tsar des neiges

Nicolas Ier s'enorgueillissait d'être plus russe qu'européen ; à l'opposé, Alexandre III, sans renier l'héritage sacré de la tradition nationale, veut croire que la Russie fait encore partie de l'Europe.

Mais alors que, dans les affaires russes, sa volonté est souveraine, dans les affaires européennes il doit compter avec celle d'autrui. Et cette limitation des pouvoirs, si elle semble naturelle à un président de la République, est difficilement concevable pour un monarque de droit divin. Le premier mérite d'Alexandre III serait-il d'avoir compris à temps que la sévérité à l'intérieur des frontières n'exclut pas le respect des idées et des lois en usage dans les pays voisins ?

Alors qu'autour de lui les esprits timorés accusent Pobiédonostsev d'être un "monstre d'intolérance", il aime à entendre cet homme au dévouement indéfectible et au franc-parler traiter les nihilistes de canailles et les étudiants de galopins indisciplinés.

... il n'y avait aucune affectation dans l'attitude du tsar, et [...] celui-ci était réellement guidé par la conscience mystique de son rôle à la tête d'une monarchie vieille de près de trois siècles. Le saint chrême qu'Alexandre III a reçu lors de son couronnement l'a renforcé dans l'idée que le Seigneur l'a élu pour conduire son peuple au-delà des limites où d'autres souverains se sont arrêtés. Il est plus que l'héritier de ses ancêtres, il est le vicaire du christ dans son pays. Pendant ses moments de profonde médiation, il rejoint le rêve de Pobiédonostsev selon lequel, après la chute de Byzance, survenue quatre siècles auparavant, la religion orthodoxe retrouvera sa signification universelle, éclipsera Rome et apportera le bonheur à l'humanité.