Juin et les mécréants
J'ai retenu la vie…
J'ai retenu la vie
Pour que dure l'instant sous le poids des mémoires
j'ai retenu la nuit
plus doucement qu'une main de femme
plus longuement sans oublier
contre des murs vivants
sur un étroit chemin utile comme un arbre
Pour que le don de Mort recouvre les eaux sures
J’ai retenu la mer
loin des cathédrales dont elle se glorifie
loin de ces araignées qui tissent encore des vagues pour attirer la plage
et des rochers tordus où s’en ira la vie
j'ai retenu la vie
j'ai retenu la mer
Pour que reste le cri des oiseaux de l'orage
ceux qui n'ont plus rien dit depuis la grande attente
ceux qui prient chaque fois pour les morts en puissance
et détiennent la tour d'où soufflent tous les vents
j'ai retenu la mer
la nuit est moins féroce
qui permet au soleil
un temps de revenir
Tu as sali la mer par tendresse, Etranger, mais tu ne savais pas qu’elle est espace vide, qu’elle est tout ce qui reste du chemin nécessaire à la respiration des bibles, au pacte entre nous et nous, à la mort fertile et qui devient jardin de sommeil et d’eau pour délivrer les races, nécessaire au sens de chaque pierre dont je suis la neige royale, pour que la terre apprenne à vivre avec son double, ne plus connaître absence. Etranger, le sable est langage du monde, nos pieds ont déchiffré ce qui brûle ton soleil et t’empêche d’être libre comme enfant. Etranger, voilà pourquoi ce soir sous les murs derniers de l’Asie, j’offre mon corps mobile au rasoir de la vague.
Houtaf Khoury – Mille fois, mille prophètes de Nadia Tueni.