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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Pour reprendre l'expression d'une amie du coin : nous avons affaire ici à un roman historique « haut de gamme », doublé d'une biographie d'un écrivain, sur fond de travail ethnographique orient/occident — oui, souvenez-vous… les russes… le cul entre deux continents… entre apollinien et dionysiaque… — le tout magiquement mené par d'étonnantes dispositions littéraires, difficiles à résumer, sorte d'équilibre parfait dont la portée ne se fait sentir jusqu'au moment où le lecteur réalise qu'il plane sur la trois-centième page sans avoir usé beaucoup d'oxygène…

Son sujet en est l'écrivain Alexandre Griboïedov, auteur du « Malheur d'avoir trop d'esprit », sûrement l'une des comédies les plus emblématique du 19ème siècle, non publiée de son vivant, mais que chacun avait lu sous son manteau, à l'époque où s'échanger des répliques rendait complice pour quelques instants cochers et conseillers de collège, où la littérature avait encore un véritable pouvoir, la censure en apparence.

Diplomate, envoyé dans le Caucase et en Perse en tant que ministre plénipotentiaire, ou « Vazir-Moukhtar », titre marqué pour une fin bien annoncée, même si sa mort n'en clôture pas le roman.

« Le Griboïed », comme le répète son contemporain Pouchkine, est une personnalité fort complexe, dont ce livre se garderait bien d'en faire un véritable portrait ; on tourne autour de lui, alternant les distances, sans que jamais la mise au point ne révèle un trait bien marqué, tout en nous le montrant sous ses atours les plus familiers ; un joli paradoxe, lui-même difficile à circonscrire, faisant de cette biographie un modèle du genre.

Variations, on en trouve aussi dans le ton.
La comédie est assurée par l'éternel personnage du serviteur, Sachka, frère de coeur ou de sang, dont les frasques brutales ponctuent facétieusement les chapitres, appelant un jumelage avec Mash Ghassem, le valet mythomane et bravache de « Mon Oncle Napoléon », chef-d'oeuvre burlesque de la littérature iranienne, alors que tous les chemins mènent à Téhéran.

L'unité de construction en est la phrase courte, à la limite de l'aphorisme, laissant quelques clairières de descriptions plus classiques ponctuer cette partition menée allegro-presto.
Mais Tynianov ne semble jamais gesticuler, ou d'user de quelques artifices pour nous maintenir en haleine. Tout coulisse simplement.

On pourra approfondir le sujet à l'envie, s'intéresser aux proto-révolutionnaires « décabristes », ou à ce « Grand Jeu » — opposition géostratégique entre les Anglais et la Russie, l'Asie Centrale comme arène — jamais vraiment terminé…
Ou plus simplement lire le Griboïed… pourquoi pas en Pléiade, le réunissant justement avec les oeuvres de Pouchkine et de Lermontov…

Parlons donc de ce chef-d'oeuvre, relativement oublié, à propos duquel Aragon ne s'était pas trompé ( « J'aurais voulu avoir écrit ce livre... » ), en signant une sobre et efficace préface pour un texte récemment re-publié chez Folio, toujours dans la traduction experte de Lily Denis, lui qui était resté dans son écrin vieillot dès sa sortie poche en 1978, affublé d'une méchante illustration, loin d'inciter à découvrir ce merveilleux roman historique.
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Ce que l'on finit par retenir de ce roman du grand Tynianov, après des années sans le relire, c'est qu'en fin de compte le sujet, l'histoire telle qu'on peut la résumer, tiennent en peu de lignes, et que la magie n'est pas là. La magie du récit se trouve dans la réfraction du réel dans une conscience de personnage, en millions de petites scènes et sensations qui forment un ensemble proche du kaléidoscope. Cette dispersion de la conscience dans les sensations et les moments variés du temps rend le texte fascinant. J'ajoute que ce roman de Tynianov forme avec d'autres un ensemble littéraire consacré aux Décabristes, ces jeunes intellectuels de la noblesse qui s'étaient pris de passion pour les idées libérales et tentèrent un coup d'état en 1825, dont le nouveau tsar Nicolas I se vengea de toutes les manières possibles, y compris les moins probables : par exemple, une ambassade en Perse pour l'un de ces jeunes gens, Griboiédov, alors qu'on était sûr qu'il n'en reviendrait pas.
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La forme du roman historique, choisie par Tynianov pour cet ouvrage, vise à tenter de mieux cerner l'âme de son personnage en le replaçant, en direct, dans le contexte et les événements qui furent les siens qui servent alors, si l'on peut dire, de révélateur.
Les personnages de Tynianov sont complexes, ambivalents. Il ne craint jamais de les poser dans leurs contradictions, leurs hésitations, leurs doutes, leur faiblesse; illustrant de manière exemplaire ces propos sur la matière des romans d'Herman Melville : « le roman où chaque personnage peut, en raison de sa cohérence, être saisi d'un seul coup d'oeil, soit ne montre qu'une part du personnage, en la donnant pour l'ensemble, soit trahit profondément la réalité.(…) et n'est-ce pas un fait que, dans la vie réelle, un caractère cohérent est un rara avis ? Les choses étant ainsi, l'aversion des lecteurs pour les caractères contradictoires, dans les livres, peut difficilement naître d'une impression de fausseté qu'ils donneraient. Elle s'expliquerait plutôt par la difficulté où l'on est de les comprendre. » Et comme en cet ouvrage, ces personnages ne semblent donc souvent ne rien maitriser mais plutôt être agis par les circonstances ; se contentant, à posteriori, de donner le change et de tenir la pose.
« Quels hommes étaient-ce donc ?
Des hommes en qui l'habit faisait le moine : où allait l'habit, ils dirigeaient leurs pas. »
Le personnage central de ce récit est donc Alexandre Griboïedov (1795-1829), connu comme poète et homme de lettre russe, de ceux qui ont posé les bases de cette littérature ; il apparait ici comme une sorte de Byron russe, figure romantique tiraillée entre des aspirations contradictoires, que l'on voit traverser dans ce roman la dernière année de son existence.
Entre la cour du Tsar Nicolas Ier à St Petersbourg en 1828, peu de temps après l'insurrection décembriste, puis en tant que ministre plénipotentiaire - vazir-moukhtar – à celle du Chah de Perse en 1829, en passant par la Géorgie et le Caucase où il trouvera le temps d'épouser une jeune princesse. Peu d'exotisme, toutefois, chez Tynianov : les circonstances historiques sont décrites sans dissimulation de leur âpreté et des motivations souvent mesquines des protagonistes. Citant ainsi un passage du Gulistan : « N'approche jamais la porte d'un émir, d'un vazir ou d'un sultan sans y avoir de bonnes connaissances. Car en flairant l'étranger, le garde le chien et le portier t'attraperont qui par la jambe et qui par les pans de ta robe ».
A deux ou trois reprises, on croisera également Pouchkine « inaccessible à son esprit, avec ce droit illégitime que lui conféraient ses vers tendres et ses rudes paroles … ».
On n'oubliera pas non plus le contexte d'écriture de ce très grand roman : l'étouffoir progressif de la bureaucratie stalinienne ou Tynianov fut bientôt réduit à vivre en parfait reclus.
Un très grand roman donc, qui trouvera sans complexe sa place au milieu des meilleures oeuvres du genre du XXème siècle et malgré l'étonnant manque de reconnaissance dont il fait l'objet.
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La Mort du Vazir-Moukhtar, pour un amateur de littérature en général et de romans historiques en particulier, c'est un peu comme se retrouver enfermé dans la meilleure pâtisserie de la ville pour un gourmand invétéré : on s'approche de très près du bonheur.

Ce roman se base sur des faits historiques avérés. Nous sommes à la fin des années vingt du XIXe siècle. L'Iran et la Russie viennent de terminer une guerre, gagnée par la Russie. Et le Vazir-Moukhtar, c'est Alexandre Griboïedov, ambassadeur et dramaturge envoyé par la Russie pour récupérer non seulement le tribut dû par l'Iran, mais aussi pour ramener au pays tous les soldats qui ont fait défection pour s'installer en Perse. Et c'est parti pour sept cents pages denses de réflexions personnelles, de géopolitique, d'histoire, de religion, de littérature – on croise même Pouchkine dans les salons et théâtres - , de descriptions de vie quotidienne, y compris du servage, de regard sans concession sur les gradés de l'armée, de beaucoup de lâcheté pour bien peu de courage. On traverse la Russie à dos de cheval, puis on découvre l'Iran, où l'on prendre grand soin de démonter point par point les fantasmes sur les harems du Shah. On ira jusqu'à se retrouver face aux intégristes religieux de l'époque, qui n'ont pas beaucoup changés depuis.

Non seulement c'est littérairement absolument parfait, mais encore, on apprend énormément de choses sur l'histoire des deux pays concernés. Pour chaque chapitre lu, on se couche moins bête. On regarde ce monde à travers le regard de Griboïedov, l'homme dont on nous annonce le destin tragique dès le titre, poète désabusé et un rien cynique. La Mort du Vazir-Moukhtar est à ranger sur l'étagère réservée aux chef-d'oeuvre, à lire et à relire.



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