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EAN : 9782072728716
144 pages
Gallimard (01/06/2017)
4.44/5   8 notes
Résumé :
«L'histoire saugrenue du lieutenant Kijé a pu passer pour l'invention d'un esprit fantaisiste. Il n'en est rien. Tynianov l'a trouvée dans deux recueils d'anecdotes du temps de Paul Ier et a poussé le scrupule jusqu'à laisser à ses héros leur nom authentique. Celui de Kijé paraît dans un volume publié officiellement en 1901. Celui de Sinioukhaïev dans un autre, publié en 1935. Pas très drôles, à vrai dire, leurs deux sorts. Mais «où finit le document, je commence». ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Le lieutenant Kijé (1927) de Iouri Tynianov ( 1894-1943) est une nouvelle grotesque et satirique fondée sur une double anecdote historique. « Mais "où finit le document, je commence". Tynianov va simplement resserrer leurs deux cas et voilà : la nouvelle fera le tour du monde. Pour une part, à cause de sa bouffonnerie, pour l'autre, parce que, partant de deux mystifications involontaires, l'auteur aura, en quelques pages, révélé la réalité d'une époque" explique Lily Denis la traductrice dans sa préface. La réalité de deux époques je pense, celle de Paul Ier et sans doute aussi celle de Staline.

Le Tsar Paul 1er, fils de Catherine la grande, vit dans l'angoisse d'être assassiné et ne tolère aucun écart de conduite. Un jeune scribe stressé, commet une double erreur de transcription. Il crée un lieutenant qui n'existe pas, le lieutenant Kijé et raye des cadres de l'armée le lieutenant Sinioukhaîev, qu'il déclare mort. Les supérieurs hiérarchiques du scribouillard laissent faire par peur des représailles. La machine bureaucratique fait le reste.

Le Tsar Paul 1er a peur de tout , y compris de sa mère dans ses cauchemars. Il se conduit comme un enfant gâté. Ses caprices sont redoutables. Les fonctionnaires zélés vivent dans la peur et obéissent servilement. Ils vont tout faire pour que le lieutenant Kijé satisfasse le Tsar y compris l'envoyer en camp de relégation. Il gravira tous les échelons. En revanche, ils se désintéressent complètement du pauvre lieutenant Sinioukhaiev, y compris son propre père, ancien médecin du Tsar. Sinioukhaiev accepte son sort sans barguigner. Il vivra une descente aux enfers. le seul personnage qui n'a pas peur, le plus charmant , le plus courageux, c'est finalement l'homme invisible, le lieutenant Kijé.

Les chapitres sont courts avec une alternance ingénieuse, ils sont rythmés, vifs et très visuels avec des dialogues croquignolets. Tynianov le formaliste a pris pour modèle Gogol et Leskov. Et il pensait déjà à l'adaptation cinématographique en écrivant car le texte est découpé en 23 « chapitres-séquences » dûment numérotés.
Ce court roman a en effet servi de base au film le Lieutenant Kijé réalisé par Alexandre Feinzimmer en 1933 .Sergueï Prokofiev en a écrit la musique, qu'il a repris ultérieurement dans la Suite symphonique pour orchestre, op. 60 portant le même nom, musique qui a inspiré le tube « Russians » au chanteur Sting, grand fan de musique classique russe.
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Je me méfie de l'oeuvre des auteurs russes contemporains de Staline* dont la carrière n'a pas été affectée par la folie criminelle de ce dictateur. Leur survie et leur réussite peuvent en effet parfois s'expliquer par une collaboration active avec son régime**. Or Iouri Tynianov - Ю́рий Никола́евич Тыня́нов - (1894-1948) semble avoir traversé l'époque stalinienne sans soucis. Le choix de ses sujets historiques a pu l'y aider, puisque la plupart de ses romans et nouvelles se déroulent sous le régime de Tsars dont il dresse des portraits désobligeants...

Dans cette nouvelle, Tynianov est très acerbe à l'encontre de Pierre 1er (1672-1725), dit Pierre le Grand, présenté comme couard et autoritaire***. Sous son règne despotique, un scribe commet deux erreurs de transcription : l'une fait apparaître un lieutenant Kijé, et l'autre enregistre à tort le décès du lieutenant Sinioukhaïev. le fautif, craignant une sanction disproportionnée, s'abstient de signaler ces erreurs. Pour des raisons similaires, Sinioukhaïev ne fait pas savoir qu'il vit encore, et l'armée russe parvient à faire exister administrativement un irréel lieutenant Kijé...

L'histoire n'est pas si loufoque qu'elle n'y paraît au premier abord, puisqu'elle s'inspire de faits réels réunis dans une unique nouvelle pour les besoins de la narration.

Cette édition bilingue est particulièrement intéressante pour ceux qui apprennent le russe. Avec la traduction française et plusieurs lectures attentives de la version originale, même ceux qui n'ont que quelques notions de la langue peuvent comprendre ou deviner une partie du texte. Il n'est est pas de même avec les récits de beaucoup d'autres auteurs russes… Peut-être ont-ils une écriture et un vocabulaire plus complexes que Tynianov ici ? Peut-être la qualité même du récit contribue-t-elle à donner envie de poursuivre cette lecture en alternant très régulièrement pages de gauche et de droite ? C'est un livre de voyage idéal pour moi : léger et peu volumineux, il peut m'occuper de bons moments !

Cette lecture m'a donné envie de poursuivre ma découverte de l'auteur, et je viens de commencer 'La mort du Vazir-Mouckhtar', roman historique relatant les dernières années de vie du diplomate et écrivain russe Griboïedov (1795-1829). Pour le moment je ne retrouve pas dans ce roman le ton amusant de l'auteur dans la nouvelle (à suivre sur Babelio).
___

* c'est de l'objectivité de leur oeuvre que je me méfie, ce qui n'implique pas nécessairement un jugement de ma part sur le comportement de tous ces auteurs, dont certains purent être un moment convaincus de la justesse d'une cause puis ne plus avoir le choix pour survivre ou pour protéger leurs proches.

** même si collaborer ne suffisait souvent pas à sauver sa peau…

*** le paranoïque Staline n'aurait-il d'ailleurs pas pu s'y reconnaître (s'il n'avait été si persuadé de sa grandeur…) ? mais ce n'était semble-t-il pas le dessein de Tynianov.
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Le destin tient parfois à peu de choses. Une main qui tremble, par exemple. La main du scribe qui, nouveau dans l'administration et craignant le courroux de l'empereur de Russie Paul Ier, se fait démiurge et divine colère. le scribe démiurge crée donc la vie grâce à une faute d'orthographe : ainsi naît le lieutenant Kijé, qui n'a aucune existence matérielle (ni corps ni biens) mais que le destin va favoriser. La colère divine, c'est celle qui s'abat sur le lieutenant Sinioukhaïev que le scribe, par erreur, déclare mort.

De cette erreur inavouable, car c'est véritablement un despote qui règne alors en Russie (la préface indique que quelque monsieur a été condamné à mort car il n'était pas venu déguisé à un bal masqué) partent deux destinées opposées. La plus formidable, la plus absurde aussi, c'est celle du lieutenant Kijé. D'abord condamné à l'exil en Sibérie, il est rappelé à l'armée et épouse une femme qui, bien évidemment, ne le verra jamais mais lui donne un enfant. Les richesses s'accumulent, les grades lui sont attribués et, honneur suprême, l'empereur veut le rencontrer. Là s'arrête la folle aventure d'un être inexistant, car de papier : Kijé meurt sans avoir vécu.

La plus tragique des destinées, c'est celle de Sinioukhaïev. Pourtant bien vivant, il renonce à s'opposer à sa mort officielle et pourtant fausse. Exclu des rangs de l'armée, il erre et vagabonde, pareil à l'une de ces âmes mortes que Gogol répertoriait pour consolider la richesse de quelque propriétaire terrien. Sinioukhaïev, vivant réellement mais mort officiellement, adopte, dans ce régime de terreur, ce deuxième statut.

A Kijé l'inexistant les honneurs et la gloire militaire ; à Sinioukhaïev l'homme qui vit la honte et la désagrégation. Par cette courte nouvelle, Iouri Tynianov annonce le triomphe du vide et le mépris de l'homme : une réalité vécue dans la Russie tsariste mais qui garde, en ce début du siècle, une désolante contemporanéité.
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En 1793, un jeune scribe de l'armée impériale, trop pressé et stressé, commet deux erreurs de transcription : il créé un lieutenant Kijé qui n'existe pas, et déclare mort le lieutenant Sinioukhaïev. Craignant une colère du fantasque et paranoïaque Tsar Paul Ier, personne n'ose lui avouer ces erreurs, et tous se comportent comme si Sinioukhaïev était réellement décédé, et comme si Kijé existait réellement.
Le premier doit quitter son régiment puis "vivre" en paria, tandis que le second poursuit son chemin dans les rouages de l'armée impériale et de la société russe.

Ce récit est inspiré de faits réels : l'existence virtuelle d'un lieutenant Kijé suite à une erreur de transcription, et le constat administratif erroné de la mort de Sinioukhaïev. Dans cette nouvelle, Iouri Tynianov (1894-1943) les rassemble fictivement dans une unité de temps.
Tynianov dresse un portrait acerbe du pouvoir impérial sous Paul Ier, présenté comme un autocrate peureux, excessivement autoritaire, et obnubilé par sa haine de sa mère Catherine II qu'il appelle l'Usurpatrice. de fait, en 1762, Catherine II avait fait assassiner son époux Pierre III, père présumé de Paul 1ie,pour accéder au pouvoir. Paul 1ier n'accéda au trône qu'en 1796, après la mort de sa mère. Il mourut lui aussi assassiné.

L'histoire est cocasse, et la drôlerie des situations soulignée par le sérieux avec lequel l'auteur les présente. Il est possible qu'à travers ce portrait au couteau de Paul Ier, Tynianov ait aussi souhaité subtilement critiquer le despotisme croissant de Staline. En effet, la paranoïa (exagérée ?) de Paul Ier fait inévitablement penser à celle du « tyran rouge ».
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Deux histoires qui résument une administration devenue folle, l'auteur s'inscrit dans la ligne des Gogol, Boulgakov, dans l'absurde Russe qui a donné tant de grands esprits. Cette histoire, qui décrit les moeurs impériales, mais qui a été rédigée à l'époque de l'URSS montre peut-être aussi que les grandes traditions de la Russie n'ont pas tant changé que cela. Aujourd'hui, d'ailleurs, si nous apprenions qu'une histoire similaire à celle du "lieutenant Kijé" a eu lieu dans nos contrées occidentales, nous ne serions pas particulièrement étonnés.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
L'empereur Paul 1er sommeillait près de la fenêtre ouverte. A l'heure méridienne où les aliments livrent au corps une lente bataille, il était strictement interdit de le déranger. Il sommeillait, assis dans son fauteuil protégé par derrière et sur les côtés par un paravent vitré. Il faisait son rêve coutumier d'après-déjeuner.
Il était assis dans son petit jardin de Gatchina aux pelouses bien tondues et là-bas, dans le coin, un Cupidon grassouillet le regardait déjeuner avec toute sa famille. Puis un grincement se fit entendre. Monotone et saccadé, il allait d’ornière en ornière. Paul Ier aperçut à bonne distance un tricorne, un cheval au galop, les brancards d’un cabriolet, de la poussière. Il se cacha sous la table, car le tricorne était d’un courrier d’État. On l’envoyait chercher de Petersbourg.
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