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Critique de Bartleby


http://bartlebylesyeuxouverts.blogspot.com/2008/07/lenfant-est-un-animal-comme-les-autres.html

Extrait :

Né en 1974, Antonio Ungar est un journaliste et écrivain colombien figurant dans la liste « Bogotá 39 » qui regroupe les trente-neuf auteurs les plus prometteurs d'Amérique Latine. Antonio Ungar est un grand voyageur qui, après avoir vécu en Angleterre, au Mexique et en Espagne, est pour le moment installé en Palestine. Mais le voyage décisif est celui qu'il fit dans son pays lorsqu'il partit vivre dans la jungle avec les Indiens de l'Orinoquie. Cette expérience fut décisive puisqu'elle lui donna l'envie d'écrire. Des réminiscences de ce voyage imprègnent ce petit roman récemment traduit par Robert Amutio (le traducteur de Roberto Bolaño) chez Les Allusifs.

L'une des plus grandes réussites de Flaubert dans Madame Bovary est d'avoir mieux décrit la psychologie féminine qu'une femme n'aurait pu le faire. C'est une performance de ce genre que réalise Ungar avec Les oreilles du loup. le narrateur est un enfant et ce roman est écrit comme l'aurait écrit un enfant si un enfant savait écrire. Dans l'histoire littéraire, l'enfant est une figure incertaine, soit parce qu'il n'a qu'un rôle mineur, soit parce qu'il n'est qu'une reconstruction artificielle, comme c'est le cas par exemple dans l'autobiographie où l'enfant n'est que le porte-parole de ce dont l'adulte se souvient de son enfance. L'enfant est alors intellectualisé ; il n'est que le masque de l'auteur. Or, étymologiquement, l'enfant, c'est l'infans, c'est-à-dire celui qui ne parle pas, qui est privé du langage et donc de la raison ; il est encore animal, son rapport aux choses n'est pas médiatisé par le langage (lorsque je m'approche d'une chaise, j'identifie l'objet au concept de chaise, le mot prime sur l'objet), il est direct, la sensation prime sur le discours qui, chez l'enfant de trois ans, l'âge du narrateur, est encore balbutiant. Cela explique aussi l'absence de continuité logique entre les événements. L'enfant, de ce petit roman, nous fait part de son ressenti, mais comme il ne sait pas la raison des choses, celle-ci reste inconnue. le père est là, ensuite il n'est plus là. Il y a des déménagements par manque d'argent, puis de la stabilité, mais c'est juste “comme ça”. Ce que fait la mère, comment elle rencontre des gens qui entrent dans leur vie (l'homme gros), qui sont-ils ? D'où viennent-ils ?, tout cela reste ignoré parce que le point de vue du lecteur est celui de l'enfant et qu'il ne fait que subir sans comprendre et sans s'en préoccuper les contingences de la vie des adultes. le coup de maître d'Ungar est d'écrire une langue qui nous fait oublier qu'elle est une langue, une langue qui est d'abord sensation.

Tout commence par une fête dans la propriété familiale. Au milieu de l'agitation et des cris, un petit rouquin de trois ans avec des chaussures rouges se tient immobile. Ce n'est que pour chasser un petit garçon de son tricycle que l'enfant se met en mouvement. La mère intervient, l'incident est clos, l'enfant retourne dans son coin pendant que les autres gamins reprennent leurs jeux :

« A présent ils m'ont tous oublié et je regarde la scène comme si je pouvais sortir de moi-même. Je continue à ne pas être là. Je fais demi-tour. Celui que je suis marche vers les buissons, s'approche d'un immense eucalyptus, regarde les feuilles bleutées qui se balancent au vent de la savane. Il les observe et grimpe facilement, comme si ses muscles se mettaient en mouvement, sans aucun effort, j'imagine, plantant ses griffes dans l'écorce. Une fois en haut, toujours absent, il refuse de regarder le jardin et les enfants habillés et les éclats de rire et l'agave inutile. Il leur tourne le dos. Il regarde, je regarde de l'autre côté de la grille, sous le soleil, la ville infinie qui s'étend à mes pieds. Et je m'enferme. En moi-même, dans mon corps de grand tigre, dans mon silence, dans la ville qui existe malgré moi, très loin et vaste dans la savane. le vent glacé frôle mes oreilles. Et comme un grand tigre je pose ma grosse tête sur mes avant-bras et attends que les autres, comme le gros, comme la ville et le vent froid, se taisent aussi. »
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