Sur la première de couverture, mêler l'effet sablonneux à la mention d'une odyssée, c'était risqué. L'association des deux m'a tout de suite évoqué Ulysse le marchand de sable. Mais si, le rouquin doucereux qui joue du pipeau sur un nuage et envoie un gros poilu dans la chambre des enfants, tou tou tou tou, tou tou tou tou tou, avant de leur balancer du gravier chatoyant dans les yeux. Ici s'arrête toutefois l'analogie, car, comme le résumé le précise, « C'est avec un sabre tranchant que sera écrite cette histoire ». Une fois terminée ma lecture, je confirme avec véhémence que
Matthieu Urban ne distille pas ici de beaux rêves aux tout-petits. Et si ça s'avère le cas chez vos enfants, je vous conseille de planquer les couteaux de cuisine.
L'oeuvre s'adresse de toute façon à un public au coeur bien accroché. La violence et le sordide y règnent en maîtres absolus, délivrés de toute la pudibonderie fadasse qui englue de plus en plus la fiction actuelle. Ceux qui sont venus pour l'atelier coussins en macramé se sont plantés de porte, comme l'expliquait mon adjudant-chef. Bien que j'apprécie moi-même les oreillers, et sans offense pour les dignes artisans de la guipure, j'ai savouré à plein cette brutale témérité littéraire, bien davantage que l'énergie tout aussi féroce (mais moins textuelle) du cher officier.
Toutefois, cette liberté de ton se heurte parfois à d'autres orthodoxies actuelles et bienséantes que l'auteur évite avec moins d'habileté. Certains propos même frôlent la lourdeur dans leur insistance, desservis par une plume dont le parti pris de simplicité récuse toute puissance aux mots. Mais il n'y a guère que dans quelques discours thématiques que les épisodiques maladresses de style nuisent au plaisir de la lecture.
Le principal reproche que je pourrais adresser à cette Odyssée s'appesantirait davantage sur le choix de structure à rebours du roman dont je n'ai pas saisi la finalité, et donc l'intérêt. Plusieurs séquences assez répétitives l'émaillent, et ont quelque peu dissipé mon attention générale. Hormis l'indifférence latente pour le personnage principal, le fameux Youzeff, que cette narration en contresens a généré chez moi, la construction générale a émoussé le piquant du dernier chapitre. J'ai pourtant apprécié cette fin de braise, sombre et imprévisible, mais elle aurait davantage crépité sous mon crâne si elle avait été attisée tout au long du récit.
En revanche, je me suis attachée sans peine au destin des personnages plus secondaires, qui, tout en n'occupant qu'un chapitre ou deux, ont suscité davantage de curiosité chez moi que le héros annoncé. Les parties en elle-mêmes jouissent d'une construction minutieuse à l'équilibre soigné entre description, ressenti et action. Les péripéties multiples, combats, batailles, poursuites ou errances, sont ici dessinées avec une précision remarquable, qu'on retrouve également dans la peinture de l'univers. Nourri d'une réflexion solide comme de détails foisonnants, rien n'y manque, en terme de cohérence, d'histoire, de géographie, de société, de culture et de moeurs.
La plongée dans le monde de Youzeff (et d'autres personnages énigmatiques) est ainsi rendue aussi vertigineuse que fascinante, offrant de surcroît de nombreux enjeux externes à l'intrigue principale, offrant ainsi aux sables de Ravine une patine de complexité et d'aboutissement scintillante.
Et puisqu'on renoue avec le gravillon qui brille... Popopopom... Bonne nuit les petits !