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Critique de HordeDuContrevent


« Souris aux lys, sinon ils fanent ! Badine au ciel, sans quoi il s'étiole ! »

Ce ne fut pas une rencontre gagnée d'avance. Mais il a eu raison de moi. Ce livre. Cela fait un moment que je l'ai à mes côtés, à chaque fois que je l'ouvrais je ne savais pas par quel bout le prendre, preuve en est à quel point je suis formatée par un type de poésie, une poésie plus cadrée, celle des alexandrins d'un Baudelaire, celles des poésies sans rimes mais cependant structurée d'une Andrée Chédid par exemple ou d'une Anise Koltz, et surtout celles des tankas que j'aime lire et écrire. Les tankas de Akiko Yosano et son somptueux « Cheveux emmêlés » est mon oreiller d'herbes depuis une dizaine d'années, l'épure de ses tankas m'apaise. Alors comment accueillir cette poésie fleuve, libre, rebelle, imprévue qui me donnait le tournis dès que j'en approchais mes yeux fermement corsetés, guindés dans l'étau de leurs oeillères…

J'aime regarder
Les immensités sans borne
Le ciel et la terre –
Oublier les sens, les formes
Des lignes et des frontières

Pourtant, elle prévient dès le départ Maryna : « Notre bavardage exalte. Ou il ennuie. Cela dépend de qui nous a apprivoisés ». Il faut donc l'apprivoiser. Oui mais comment ? Quelques indices cependant « la macaronée, rare et non paginée, se consomme en quantités réduites. Ce n'est pas systématiquement du miel apaisant, de l'huile luisante. C'est souvent de l'ail ou de la moutarde, ou du hareng saur ». Très bien, j'aime l'idée. Une poésie qui a du caractère à consommer par petites doses donc. Je relève le défi.

Comme à chaque expérience de littérature, la lecture à voix haute m'a ensuite donné les clés d'approche. Et je fus littéralement émerveillée lorsque la porte s'est enfin ouverte. La poésie de Maryna Uzun est une poésie qui pétille, qui claque, qui explose, qui tourneboule, qui ose, qui crie par moment, qui apaise aussi. Une poésie primesautière. En l'espace d'une ou deux pages, elle nous entraine dans une multitude de sentiments, de beautés, d'émotions. Et me voilà impressionnée et tellement imprégnée par ma lecture que je me surprends à voir émerger des images provenant de son imagination à elle dans ma vie à moi…Ainsi, me baladant, à la vue de des premières feuilles, voilà que surgit un dragon crachant du vert tendre.

La poésie de Maryna, c'est une poésie qui se dépiaute, qui se lit et se relit, qui cache des images derrière d'autres images, dont la richesse se met peu à peu à flotter sur l'eau de nos yeux ébahis à chaque petit chapitre. Elle se picore la riche et roborative poésie de Maryna, elle nous nourrit, nous lecteurs chanceux, en en un rien de temps…
« Une femme aptère, la mouche sans ailes, pour qu'elle demeure près de son mari ? La poupée en argile, épouse ininflammable, qui résistera à l'amour subit ? Non, je ne suis pas conçue pour me mariner ni pour me complaire en fleur éplorée ! Je suis immariable : je vais m'envoler ! ».

La poésie de Maryna convoque tous les sens, c'est un festival d'odeurs, de sons, de couleurs qui explosent en mille et un confettis.

« Ma fantaisie imminente, que nous buvions à nos fragilités réunies ! Que nos subtilités s'entrelacent ! Je serai ta bonne mauvaise herbe ! Que nos matins fleurissent en jaune ! Nos mille coucous printaniers, nos appels de canari, inquièteront le bosquet ! A nos plumes citronnées ! ».

Pourtant, la poésie de Maryna raconte avec pudeur les douleurs d'un mari bousilleur de songes et jaloux de la créativité de la poétesse, la détresse de l'amour dans « sa brumaille et ses embrouilles », narre au contraire avec bonheur et délicatesse l'enfant avec qui elle se sent en totale connivence. Assurément, elle a gardé la fraîcheur de son âme d'enfant, cette âme qui voit la beauté des lieux, cette âme qui fait surgir des images insolites, cette âme qui fête sans cesse ses étonnements, cette âme qui invente des noms, cette âme un brin espiègle qui joue sans relâche, ne prenant pas la gravité de la vie ou les déceptions amoureuses au sérieux, qui les écrase à coup d'optimisme envers et contre tout, et cette fraicheur fait tellement de bien, elle nous éclabousse de sa pureté, de sa beauté. Elle est salvatrice.

« J'ai rêvé qu'on s'offrait une spacieuse maison, seulement pour nous deux, située sur une place rumoreuse et peuplée d'humbles réverbères, sous un ciel de crépuscule, bleu-orange-violet. Sur un mur pendouillait une photo de couple, pas de nous mais d'heureux inconnus aux regards flous, qui nous magnétisait des phrases de cinéma, immortelles, éthérées, trompeusement faciles…Je voulais, avec mon enthousiasme intact, nettoyer de fond en comble cette demeure. Cependant elle était déjà propre et ensoleillée. Je courais d'un niveau à l'autre pour rien. Sauf pour la découvrir et te la raconter ! Ce n'était ni en ville, ni à la campagne, ni dans une station balnéaire quelconque. Je crois qu'elle était sous le ciel d'Italie.
- Mouais…, marmonnait le mari sans lâcher sa souris. Mouais… , répétait-il encore, ce bousilleur de songes ! »

La poésie de Maryna est d'une beauté à couper le souffle, d'une élégance folle, d'une créativité sans limite dans laquelle la musique est toujours présente en filigrane. Des arbres qui s'allument, des clairs de lune debussystes, des saillies lisztiennes, des endroits rumoreux, du jus de ciré, des complots sylvestres, des aubades tartares, des yeux glaneurs, une dévoreuse d'aube, des carrosses de syllabes, des vers blancs assaisonnés de pluie…C'est une poésie connectée avec la nature qui sait sans relâche s'étonner et s'émerveiller. Elle nous donne des clés magnifiques pour regarder différemment, envers et contre tout, surtout envers et contre tout.

« le Chêne sort droit du moyen-âge. C'est une cathédrale ondulante d'un vert gothique aux maints moulages, aux plâtres fins sur la corniche. Un Cèdre, c'est toujours bohème, ses rameaux poussent en désordre. C'est un géant au dos voûté qui, débonnaire, ouvre les bras. C'est aussi un sorcier, en loques, baissant les branches face à la mode. Arbre vétuste, poivre et sel, il n'a jamais le vent en houppe, tandis que les Magnolias luisent comme des autels habités (…) Il fait bon tromper son mari avec les plantes séculaires ».

Espiègle Maryna, touchante Maryna, facétieuse Maryna, l'incroyable dentellière d'amour…Sa poésie est d'ailleurs très souvent sensuelle, voire érotique, l'air de rien, toujours par images interposées.

« Toi, mon prochain amour, je t'attends ! Que ton bout-rimé se pose sur le mien comme une libellule ! Sur la tige rouge de mon dos tortillant, qu'il s'endorme en souriant ! ».

« Mon mamelon dans ton oreille te joue la musique d'une baignade d'animaux, buffles et zèbres, dans un lagon. Je suis heureuse et amoureuse, et caressante et caressée. C'est mon soupirail de l'Invisible que je promène autour du lac… »

Voilà, je ne sais comment exprimer mon émotion mais réelle elle est. J'avais à mes côtés un trésor depuis de longs mois sans même le savoir. L'importance d'être constant ou celle d'être aléatoire, questionne-t-elle ? Elle a su me sortir de la constance de la poésie cadrée pour me plonger sans bouée dans les flots de sa poésie aléatoire qui regorge de merveilles, de force, de féminité, de sensualité. J'ai perdu pied avec délice dans ses délires lacustres, dans sa poésie pleine de circonvolutions et d'arabesques insolites, sur ces chemins sylvestres nostalgiques rongés par les vers sur lesquels je l'imagine vagabonder avec grâce.
Merci infiniment et chapeau bas chère Maryna pour tant de beauté, pour tant de créativité et pour cette leçon : « Je peux être heureuse grâce à mon chaos ». Je reviendrai picorer sans cesse dans cet écrit qui n'a pas fini de me nourrir.


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