Bref, une personne mal aimable qui cultive l’antipathie depuis très longtemps. Elle est devenue plus qu’une seconde nature : un art de vivre, de survivre même. Survivre car Ferdinand vit mal la vieillesse. Solitude immense, déchéance du corps, goût pour rien : tout cela le tue à petit feu. La seule saveur que Ferdinand ait trouvée pour tromper l’ennui : être méchant avec tout le monde, histoire d’être sûr de ne manquer à personne une fois définitivement parti.
Mme Suarez sait pourquoi les gens lui accordent aussi facilement leur confiance. Elle respire l’honnêteté, le sérieux. C’est comme ça, elle n’y peut rien. C’est inné. Il faut dire que c’est aussi une personne de principes, de valeurs, respectée et respectable. Elle sait se montrer disponible, à l’écoute et dans l’action. Et puis, elle n’y peut rien si les gens sont comme attirés par elle, hommes comme femmes d’ailleurs. C’est physique, presque hormonal, son parfum joue peut-être, Opium d’Yves Saint Laurent. En tout cas, Mme Suarez ne laisse rien au hasard en matière de séduction.
On change plus à mon âge, c’est trop tard. Je suis comme je suis. C’est à prendre ou à laisser.
Si la tristesse et la solitude sont ses nouvelles compagnes d’infortune, Ferdinand perçoit très nettement qu’il reste de la place pour un sentiment encore plus envahissant : la colère. Il ne peut se résigner à accepter l’accident, il doit bien y avoir un coupable, quelqu’un sur qui relâcher sa haine et son incompréhension. La vie ne peut pas autoriser de telles injustices.
En somme, Ferdinand est économe, surtout en sentiment. Mais la seule pour qui il n’a jamais compté, la seule qu’il aime, la seule qui ne l’a jamais abandonné, c’est Daisy. Sa chienne. La plus belle, la plus douce, la plus fidèle. Avec elle, tout est plus simple. Pas de fourberie. Pas de contrainte. Pas de chantage affectif. Pas besoin de distiller au compte-gouttes de gentilles attentions ou encore des mots doux.
Il est un peu comme sur un voltage différent, avec une logique bien à lui, qui chamboule l’ordre de ses priorités, le laissant complètement incompris par le commun des mortels.