La petite fille était maigre et voûtée, toute refermée sur elle-même comme un bourgeon qui a connu le gel.
Un arbre n'a d'autres sentiments que ceux qu'on lui confie. D'autres émotions que celles qu'il perçoit. D'autre angoisse que la prémonition des tempêtes, des incendies, de la sécheresse et des bûcherons. Mais cette angoisse-là, commune avec les animaux, n'a pas la même origine que la vôtre. Ce n'est pas la perte de nous-mêmes qui nous obsède, c'est la rupture d'une harmonie. L'arrêt des échanges avec les oiseaux, les insectes, les champignons, les jardiniers, les poètes; la fin des interactions qui nous lient au soleil, à la lune, au vent, à la pluie, aux lois qui gouvernent la formation d'un paysage-ce que vous avez appelé successivement la nature, l'environnement, l'écosystème.
Mais ce n'était pas une crise cardiaque ou un simple malaise va gal. Elle avait fait ce qu'on appellerait plus tard une NDE. Elle incarnait si fort son personnage, elle était tellement cette amoureuse qui se tue pour rejoindre son amant qu'elle était morte avec elle. Du moins quelques instants, elle était revenue en racontant qu'elle avait surplombé son corps, ses partenaires, l'orchestre ...
Moi, je n'avais plus d'utilité précise. Je ne servais qu'à produire de petites poires immangeables qu'on se contentait de tondre quand elles tombaient dans l'herbe. Fini le temps de l'alambic, les bouilleurs de cru qui venaient s'installer dans le jardin, avant guerre, pour faire de mes fruits ce délicieux alcool grâce auquel je voyageais dans l'ivresse des gens du village - désormais c'était compote pour mulots, voilà tout.
Entre un champignon ou une fourmi avec qui je communique sans problèmes et un humain qui se raconte des histoires, mon choix est clair. J'ai toujours privilégié la fiction à l'information pure. Question d'urgence : végétaux et animaux ne perdent jamais ce qui est gravé dans leurs gènes, tandis que les humains ont tendance à devenir des machines qui pensent mais n'imaginent plus. Les quelques individus qui ont su me faire rêver durant ma vie, je leur dois ma longévité. Parce que l'intelligence, la poésie, l'humour sont des nutriments aussi nécessaires pour moi que les protéines du sol. Vos mauvaises ondes m'affaiblissent, vos bonnes vibrations me renforcent. Un arbre ne cherche pas que la lumière. Du moins, il la cherche partout.
Elle le sait. Mais elle ne veut pas être une Camille Claudel, une sculptrice brisée par le modèle des hommes. Elle imposera son féminin à elle.
Il s'arrache à mon écorce, rajuste son écharpe et s'en va dans le soleil déclinant. Je reste seul avec ma greffe, qui ne prendra pas davantage que les précédentes. Et ce sera la dernière: dans dix jours, Mercier sera mort. Mon écorce ne tardera guère à effacer les incisions du vieux guerrier de jardin. Mais la blessure laissée par Alfred Dreyfus ne se refermera pas.
Avant d'être la remplaçante de Jacqueline, Hélène fut sa psychanalyste. Une sorte de curé payant à qui elle confessait deux fois par mois ses non-dits et ses griefs conjugaux.
Le jour est venu.le jour des tronçonneuses,des scies et des brouettes.
le souvenir se remet à vivre quand on lui rend sa liberté