AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de gabb


gabb
27 septembre 2022
L'an dernier, je me souviens, j'avais laissé David Vann sur Sukkwan Island (l'histoire terrible d'un homme et de son fils, tentant de survivre dans une cabane perdue sur une île d'Alaska). Superbe et glaçant.
Cette année - ô surprise ! - je le retrouve sur Caribou Island*, avec l'histoire terrible d'un couple de cinquantenaires, tentant de survivre dans une cabane perdue sur une île d'Alaska.

À ce stade vous craignez l'arnaque, vous vous dites que le bonhomme manque un peu d'imagination...
Eh bien détrompez-vous : quand il s'agit de plonger son lecteur dans l'horreur et de soumettre ses personnages aux pires tourments, de placer les uns comme les autres dans des conditions de détresse psychologique toujours plus extrêmes, David Vann n'est jamais en panne d'inspiration !

À nouveau il choisit un cadre grandiose - celui des immensités glacées du grand Nord, des lacs gelés et de leurs îlots carrément inhospitaliers - pour nous proposer un roman sombre et perturbant, qui cette fois met en scène non seulement un binôme d'aventuriers en perdition, mais également certains membres de leur famille eux aussi soumis aux pires Désolations (d'où le pluriel du titre, sans doute...)
En effet, si la tragédie se noue principalement autour de Gary et d'Irène, isolés et en bien mauvaise posture sur Caribou Island, leurs enfants Rhoda et Mark ne sont pas en reste, ainsi d'ailleurs que leurs amis Carl et Monique, ou même que Jim, le compagnon de Rhoda. Tous vont connaître leur lot de misères et de désillusions.

David Vann n'a décidément pas son pareil pour raconter ces vies ratées, pour décrire ces projets qui capotent, ces vertigineuses spirales d'échecs...
Il sonde les âmes malades de ses personnages avec une acuité qui confine au sadisme, et le mouvement brownien d'idées noires qu'il entretient sous leurs crânes les fait invariablement sombrer dans la folie la plus absolue.

Les descriptions des grands espaces sauvages (magnifiques !) sont entrecoupées de dialogues tendus, incisifs, au moyen desquels les protagonistes du drame dévoilent des personnalités complexes et torturées.
Les couples (Irène/Gary, Rhoda/Jim, Monique/Carl) sont particulièrement malmenés, et la vision du mariage développée par l'auteur ("union mal assortie dès le départ, quelque chose qui avait amoindri leurs existences", "déni graduel de ce que l'on désirait, mort prématurée de l'être et des possibilités, fin trop hâtive de la vie") est parfaitement déprimante.

Sur l'île, alors que Gary s'obstine à bâtir la cabane de ses rêves malgré les conditions climatiques hostiles et en dépit d'un manque évident de compétences et de préparation, Irène est soudainement victime d'un mal mystérieux qui se manifeste par des crises de migraine fulgurantes.
Cela n'arrange en rien ses tendances paranoïaques, et très vite le lecteur comprend que l'expédition est promise au désastre. Il devine/redoute l'anéantissement final, mais le choc n'en est pas moins violent quand survient la catastrophe.

Alors c'est vrai, les points communs avec Sukkwan Island sont multiples mais cela n'atténue en rien la force dévastatrice de ce roman, toujours aussi dérangeant, toujours aussi bien ficelé.
On regrettera quand même quelques petites longueurs (surtout quand s'accumulent les détails techniques et répétitifs concernant la construction de la cabane) et quelques séquences un peu confuses (pouvait-il en être autrement, au moment où la folie submerge les digues de la raison ?)
L'essentiel est ailleurs, dans cette éprouvante mise à nue des êtres, dans cette exploration méthodique et assez perturbante de leurs "enclaves de désespoir".

Un roman d'impasses et de débâcles, pas franchement rigolo (euphémisme) mais terriblement efficace.
Après l'inoubliable Sukkwan Island, deuxième déflagration..
Jusqu'où Vann ira-t-il ?


- - - - - - - - - -
*le titre du roman, dans sa version originale
Commenter  J’apprécie          142



Ont apprécié cette critique (14)voir plus




{* *}