A ne lire que si vous avez du temps, car il y en a long à dire !
Je suis irritée par
Et si on changeait d'angle. Dès l'introduction de
Catherine Gueguen, pédiatre, j'ai été énervée voire choquée par les généralisations du type : « … nous traitons nos enfants comme s'ils étaient des objets qui ne ressentent rien, ne pensent pas et à qui on ne demande jamais leur avis. » Je suis sexagénaire et ce type de comportement correspond effectivement à ce que j'ai vécu, enfant, mais ce n'est pas ce que d'une part j'ai moi-même fait avec mes propres enfants, même si je n'ai pas la prétention de ne jamais avoir commis d'erreur, et ce n'est pas non plus ce que je constate aujourd'hui, même si je ne nie pas que cela puisse encore éventuellement exister dans certaines familles.
J'ai du mal à concevoir qu'une psychologue puisse tenir un discours aussi peu bienveillant à l'encontre des parents dont elle critique le manque de bienveillance à l'égard de leurs enfants. Elle souligne par exemple « nos habitudes ancestrales avec les enfants », ce qui est, à mon sens, non seulement excessif, mais qui amène également à se demander comment elle peut ignorer l'évolution évidente de l'éducation au cours des dernières décennies.
Il y a beaucoup d'enfants et adolescents autour de moi, et ce que je constate assez souvent, mais pas tout le temps (je ne tiens pas à généraliser), c'est un certain laxisme, ou du moins des excès dans le sens totalement inverse de ce qui est critiqué dans ce livre. Je connais des parents qui demandent leur avis aux enfants sur absolument tout, autrement dit, ce sont eux qui décident. Imaginez une famille de six personnes : si chacun a un avis différent sur le menu, la destination des vacances, l'heure du repas, l'heure du coucher, que devient la vie de famille ?
J'ai écrit « des parents qui demandent leur avis sur tout », mais en fait j'aurais dû écrire « qui demandaient » car j'ai constaté des retours en arrière, faute de ne plus pouvoir gérer la situation qu'un tel comportement avait parfois générée.
Après cette introduction, le lecteur trouve l'avant-propos de l'auteure elle-même ; même réaction en ce qui me concerne : à l'écouter, elle semble n'avoir entendu dans sa vie que des injonctions négatives, des promesses de lendemains qui déchantent, etc … Je trouve cela excessif et peu réaliste.
Page 7, elle écrit : « attitude reléguant au rang d'obsolètes les conseils des proches qui me priaient de ne pas tomber dans le piège en prenant ma fille dans les bras à chaque fois qu'elle pleurait ». Je donnerais volontiers un exemple personnel à ce propos : l'une de mes belles-filles prenait sa fille (sa première !) dans ses bras quand elle pleurait et ça pouvait durer longtemps. Se rendant compte que le bébé ne cessait pas de pleurer pour autant, elle se désolait et disait ne plus savoir quoi faire. Alors les deux mamies, à deux occasions différentes, ont tenté de l'aider à trouver une réponse : « as-tu essayé de la coucher pour voir ce que ça donnerait ? ». Comme elle est intelligente, et qu'elle a senti la bienveillance de notre attitude, elle n'a pas du tout vécu ça comme une injonction et a répondu : « non, mais je vais essayer ». Et le bébé s'est endormi très rapidement.
Voilà, à mon sens, le genre de risques que font courir certaines allégations à l'emporte-pièce.
Le fait de mettre un adulte dans la situation de l'enfant est drôle, mais pas nouvelle. Je le fais avec des élèves qui se sentent brimés par l'école ; nous intervertissons les rôles et cela leur permet de mieux comprendre certaines choses et attitudes.
Pour entrer un peu plus dans le corps de l'ouvrage, je voudrais prendre quelques exemples et vous dire ce qu'ils m'inspirent. Autrement dit, de la pratique plutôt que de la théorie.
Page 18 : à propos d'un enfant qui pleure parce qu'il est tombé, le parent lambda dirait : » Arrête ton cinéma, relève-toi ! » alors qu'un adulte bienveillant au regard neuf sur l'éducation (ce que prétend être l'auteure) dirait : « Tu as dû avoir peur, c'était une sacrée chute pour toi. » Premièrement, je trouve que les deux interventions sont excessives, je ne sais pas depuis combien d'années je n'ai pas entendu la première. Deuxièmement, ne peut-on pas dire que l'auteure génère l'idée que l'enfant a forcément eu peur, et que si l'on tombe, on se fait forcément mal ?
Cela ne vous est-il jamais arrivé d'assister à ce genre de scène : un enfant tombe et regarde ses parents : s'ils ont l'air inquiet ou surprotecteur, il se met à pleurer voire à hurler ? Ou au contraire, si les parents n'ont rien remarqué, il se relève et reprend son activité comme s'il ne s'était rien passé ?
Autre cas de figure page 20 : là encore, je trouve les propos contradictoires :
1. J'ai (moi l‘adulte) besoin d'un week-end pour moi.
2. Je dis à l'enfant : est-ce que tu aimerais aller passer le week-end chez Papi et Mamie ? Ils ont
hâte de partager un moment avec toi.
Qui veut quoi dans cette histoire ? On dirait que l‘adulte (le soi-disant bienveillant) n'ose pas dire les choses honnêtement. Imaginons que l'enfant dise Non, je ne veux pas y aller. Que font les parents alors ? Ils renoncent à leur week-end ? Donc l'enfant est roi ! S'il y a un choix à laisser à l'enfant, ça peut très bien être : tu préfères qu'ils viennent ou aller chez eux ?
Mon dernier exemple, page 12 : critique du parent qui demande à son enfant de prêter un jouet à un copain. Pour démontrer la justesse de son argument, l'auteure met cette situation en parallèle avec un adulte à qui la femme demanderait de prêter sa voiture à un inconnu. Cela fait peut-être sourire, mais honnêtement, y a-t-il une commune mesure entre un jouet (entre mille car les enfants d'aujourd'hui en ont franchement beaucoup trop) et une voiture unique souvent indispensable pour aller au travail ou une urgence… Et même, en dehors de cela, où est la notion de partage et de vie collective? Même entre frères et soeurs, cela nécessite un apprentissage.
Heureusement, une suggestion est faite, que j'approuve cette fois-ci, plus plausible (il y en a quelques-unes quand même) : « je te propose de mettre de côté les jeux que tu ne veux pas partager et on laisse à disposition les autres pour que tu puisses jouer avec les enfants. » J'ajoute que c'est exactement ce que je faisais avec les miens, il y a 35 ans de cela, rien de neuf donc.
Par ailleurs, je vois régulièrement des petits touche à tout débarquer chez mes enfants adultes et se servir de tout, sans demander la moindre autorisation, qu'il s'agisse d'ailleurs de jouets ou de bibelots.
Je ne vais pas donner plus d'exemples, je vous laisse découvrir ce livre si vous le souhaitez et avoir votre propre réflexion sur le sujet. Mais je dois ajouter que j'ai trouvé l'analyse assez superficielle, simpliste. Même sur le plan graphique, j'ai été déçue car il y a assez peu de dessins finalement.
Pour terminer, je rappellerai cette affirmation de
Boris Cyrulnik, personnage bienveillant s'il en est : « il est indispensable qu'avant l'entrée à l'école (donc avant l'âge de trois ans), l'enfant ait appris la frustration ». Non pas parce que l'école est un lieu de frustration permanent, mais parce qu'il est un lieu collectif où l'on apprend à vivre ensemble. Chacun le sait, je pense, la vie en collectivité implique des compromis d'une part. D'autre part, c'est le lieu où l'on apprend l'écoute, le partage, l'échange, et où l'on tente de former des citoyens tournés vers l'autre, ouverts et épanouis.
Vous aurez donc compris que je n'ai pas particulièrement apprécié cette lecture, cette critique à peine voilée (et pas assumée) des générations précédentes. Chaque nouvelle génération se bâtit sur les précédentes, sans lesquelles elles n'existeraient pas, et c'est sur ce socle qu'elle peut introduire des nouveautés, procéder à des expérimentations, sans pourtant prétendre détenir la vérité. Il faut garder à l'esprit que la jeune génération d'aujourd'hui, à son tour, critiquera l'éducation qu'elle a reçue de ses parents.