Telle est la force de la passion, - telle en est la limite aussi et c'est pourquoi je ne l'aime pas. La passion est une terrible destructrice. Elle détruit dans la tête de qui la loge tout ce qui n'est pas son idée fixe. Elle fait une effroyable consommation d'impulsions et de concepts dont elle nourrit son insatiable cancer. Et quand, par fortune bonne ou mauvaise, elle vient à disparaître (comblée ou consumée), elle laisse dans la maison de qui l'a nourrie une vacance dévastée, et son hôte privé de désirs, - hormis la soif de devenir esclave de nouveau.
Dieu protège les amoureux et récompense les cœurs fervents.
« J’appris ce jour-là qu’une main peut, pour qui sait l’observer, refléter les émotions aussi bien qu’un visage, - aussi bien et mieux qu’un visage car elle échappe davantage au contrôle de la volonté. »
Et, ma foi, je l'admirai. Oui : qu'il ne se décourageât pas. Et que jamais il ne fût tenté de secouer cet implacable silence par quelque violence de langage. Au contraire, quand parfois il laissait ce silence envahir la pièce et la saturer jusqu'au fond des angles comme un gaz pesant et irrespirable, il semblait bien être celui de nous trois qui s'y trouvait le plus à l'aise.
Il était devant les rayons de la bibliothèque. Ses doigts suivaient les reliures d’une caresse légère.
- « …Balzac, Barrès, Baudelaire, Beaumarchais, Boileau, Buffon… Chateaubriand, Corneille, Descartes, Fénelon, Flaubert… La Fontaine, France, Gautier, Hugo… Quel appel ! » dit-il avec un rire léger et hochant la tête. « Et je n’en suis qu’à la lettre H !… Ni Molière, ni Rabelais, ni Racine, ni Pascal, ni Stendhal, ni Voltaire, ni Montaigne, ni tous les autres !… » Il continuait de glisser lentement le long des livres, et de temps en temps il laissait échapper un imperceptible « Ha ! », quand, je suppose, il lisait un nom auquel il ne songeait pas. « Les Anglais, reprit-il, on pense aussitôt : Shakespeare. Les Italiens : Dante. L’Espagne : Cervantès. Et nous, tout de suite : Goethe. Après, il faut chercher. Mais si on dit : et la France ? Alors, qui surgit à l’instant ? Molière ? Racine ? Hugo ? Voltaire ? Rabelais ? ou quel autre ? Ils se pressent, ils sont comme une foule à l’entrée d’un théâtre, on ne sait pas qui faire entrer d’abord.
69 – [Le Livre de poche n° 25, p. 28]
"Je vous souhaite une bonne nuit"
« Un chef qui n’a pas l’amour des siens est un bien misérable mannequin. »
Le petit garçon aurait bien voulu demander pourquoi, mais papa lui serrait la main trop fort, il n'arrivait pas à le demander. Était-ce à cause de ça, il avait de plus en plus de mal au cœur. Tellement qu'il aurait voulu se jeter par terre, comme le jour de la purée de marrons, mais papa lui serrait la main tellement fort, et pourtant on allait trop vite, et maintenant il avait mal au cœur et pas seulement au cœur, mais mal au cœur partout, au ventre, dans les jambes, si ce n'était pas bête de dire qu'on a mal au cœur dans les jambes.
Le silence se prolongeait. Il devenait de plus en plus épais, comme un brouillard du matin. Épais et immobile. L'immobilité de ma nièce, la mienne aussi sans doute, alourdissaient ce silence, le rendaient de plomb.
Nous ne fermâmes jamais la porte à clef Je ne suis pas sûr que les raisons de cette abstention fussent très claires ni très pures. D'un accord tacite nous avions décidé, ma nièce et moi, de ne rien changer à notre vie, fût-ce le moindre détail : comme si l'officier n'exostait pas ; comme s'il eût été un fantôme. Mais il se peut qu'un autre sentiment se mêlat dans mon coeur à cette volonté : je ne puis sans souffrir offenser un homme, fût-il mon ennemi.