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Critique de Musa_aka_Cthulie


Qu'est-ce qu'un plaisir coupable ? Ce sera le thème d'aujourd'hui. Je lance la discussion avec une de mes si intelligentes, si délicieuses, si excellentissimes critiques et je vous attends en commentaires.


L'année dernière - ah ouais, je vais encore raconter ma vie -, le 5 juin exactement (là, je me rends compte que j'aurais dû écrire cette critique le 5 juin de cette année pour que tout soit parfait, premier faux pas de ma part), donc le 5 juin 2022 (on va y arriver!), je me rends à un truc que j'appellerai festival littéraire faute de mieux, ou événement littéraire, ou ce que vous voulez.


J'y vais parce que, pour une fois, le thème - les utopies - m'intéresse, qu'il y a Estelle Faye en invitée et que, cerise sur le gâteau, François Angelier est également invité. J'adore Mauvais genres, j'adore écouter Angelier, et vu qu'il vient pour parler de Jules Verne et du tome 2, ou bien du tome 1, enfin je sais plus et d'ailleurs on s'en fout, des Voyages dans les mondes connus et inconnus de Jules Verne (c'est l'autre titre des Voyages extraordinaires), je me dis que pour l'occasion et au cas où j'aurais l'opportunité incroyable de parler avec François Angelier (en fait j'ai déjà discuté avec lui sur Facebook il y a un moment, mais c'est pas pareil, je m'imagine que c'est forcément mieux en vrai, je sais pas trop pourquoi, parce qu'en fait c'est con de se dire ça)... J'espère que vous suivez parce que je suis pas loin de battre Proust côté phrases qui partent en digressions, mais en moins long, faut pas exagérer non plus, et surtout, en moins bien... Donc. Donc pour l'occasion je lis un livre qui traîne depuis à peu près 25 ans sur mes étagères et dont j'ai toujours repoussé la lecture, sans savoir très bien pourquoi : Cinq semaines en ballon (on va arriver au sujet, on est bien, là).


Au cas où ça vous intéresserait, j'ai pas pu poser une seule question à Angelier parce que l'adjointe à la culture a décidé que faire des discours et donner dans l'auto-satisfaction, c'est bien plus important que les échanges entre le public et les auteurs invités à Clameurs ou à n'importe quoi d'autre. Mais quel rapport avec la notion de plaisir coupable ? (me direz-vous)


J'ai entendu récemment une jeune femme dire qu'elle ne comprenait pourquoi écouter ou chanter Mylène Farmer (mais peut-on écouter Mylène Farmer sans chanter ? Je pense que non, perso je chante toujours quand j'entends du Mylène Farmer, je connais presque toutes les paroles de presque toutes les chansons)... Cette jeune femme disait donc qu'elle ne voyait pas pourquoi Mylène Farmer devrait forcément relever du plaisir coupable, et que d'ailleurs elle ne comprenait pas la notion de plaisir coupable. Effectivement, ça paraît idiot de vouloir culpabiliser les gens qui aiment Mylène Farmer (hier encore, mon copain me disait que Mylène Farmer était mon point faible et mon gros défaut, vous comprenez pourquoi je prends le sujet à coeur).


Et il y a quelques jours, je me dis que quand même, faudrait que je revienne un peu sur Babelio et que je me mette à réécrire des critiques (vous voyez pas le lien avec Mylène Farmer, c'est normal, cette critique est tout sauf quelque chose de linéaire, bref, ça va venir, vous allez comprendre. Si vous êtes un chouïa persévérants, bon courage à vous). Donc. Revenir sur Babelio, oui, écrire une critique, oui, mais sur quoi ? J'ai un rythme de lecture assez affligeant depuis... depuis je-préfère-pas-compter, et en plus j'avais pas envie de faire un truc intello, ou d'écrire à propos d'un truc intello (c'est pas comme si je devais, d'ici cinq jours, rendre une critique sur un bouquin qui parle d'une oeuvre de Mucha pas trop connue, hum).


Par conséquent, et vu que je n'ai jamais écrit de critique après avoir lu Cinq semaines en ballon, je me dis "Allez, hop, c'est parti !" le hic, c'est que ça fait un sacré moment (un an, si vous avez suivi et que vous n'avez pas encore abandonné la partie, ce qui est franchement admirable de votre part) que je songe à cette potentielle critique et que je bute sur quelque chose dont je ne sais pas très bien comment parler. Et c'est là, que me revient ce qu'a dit la jeune femme dont j'ai parlé plus haut. Et que je me dis : "Mais c'est ça un plaisir coupable ! Cinq semaines en ballon, c'est carrément un plaisir coupable !"


Parce que j'ai passé un moment très plaisant à lire Cinq semaines en ballon, certes, mais ce moment a été entrecoupé plus souvent que nécessaire par des "Putain, mais c'est raciste comme pas possible !!!" Alors vous allez me dire : "Te fous pas de nous, t'as lu Les Enfants du capitaine Grant et t'as déjà dit que c'était raciste (et en même temps pas raciste par moments, Jules Verne m'étonne toujours), et puis c'est pas comme si t'étais pas une fan de Lovecraft. Et vous aurez raison. J'adore Lovecraft, et pourtant, il était raciste, ça ne fait aucun doute. Et ça ne m'empêche pas d'aimer ses fictions (je suis légèrement plus réservée sur certains extraits de sa correspondance qu'il m'a été donné de lire et qui sont... On aura l'occasion d'en reparler, quand j'aurai enfin lu sa bio par Joshi). Ben oui. Mais quand même. Je ne veux même pas vous donner d'exemples tirés de Cinq semaines en ballon, j'aurais l'impression d'être un député du Front national.


Alors François Angelier, qui est un spécialiste de Jules Verne, je l'ai entendu parler de Cinq semaines en ballon et j'ai trouvé qu'il occultait le truc. Ce qu'il dit d'autre sur le roman est très intéressant, mais il ne mentionne pas ces relents de racisme, certes très courants au XIXème siècle (et y'a pas besoin de remonter si loin, d'ailleurs). Mais enfin, après tout, à une époque où il paraissait tellement normal aux artistes, ou aux bourgeois et à bien d'autres hommes d'aller se taper une prostituée, Flaubert disait un truc, ou du moins on lui prête une citation que je vais retrouver, laissez-moi un moment... (Allez boire un thé en attendant, ça risque de prendre du temps) Me revoilà ! Alors je suis tombée sur deux ou trois trucs qui infirment complètement ce que j'allais dire sur Flaubert, donc soit j'ai lu ou entendu quelque chose de parfaitement faux sur Flaubert et la prostitution, soit j'ai rien compris, soit je confonds Flaubert avec quelqu'un d'autre. Passons. Voici ce que je veux dire en substance : c'est pas parce que presque tout le monde est raciste que t'es obligé d'écrire un roman grave raciste, en plus adressé aux enfants (enfin aux garçons, parce que bon, Hetzel, l'éditeur de Jules Verne, voulait bien essayer de relever le niveau de la littérature jeunesse pour les garçons, mais les filles, hein... Ben c'était que des filles quoi. Bon, je m'arrête là, parce qu'en plus du sujet du racisme on va se retrouver à parler de misogynie, et au final de toutes les discriminations possibles et imaginables. Et on s'en sortira pas si on fait ça. Une chose après l'autre.)


Et que je sois claire. Cinq semaines en ballon ne se résume pas à un "roman raciste". Jules (on va l'appeler Jules, ça va plus vite) avait proposé à Hetzel quelque chose de très différent au départ, un truc apparemment chiant, en tout cas assez pour que Hetzel le refuse et lui demande d'écrire autre chose (de mieux, ça va sans dire). Il a bien fait, puisque Jules va pondre Cinq semaines en ballon, qui contient déjà une bonne partie du programme des Voyages extraordinaires. Voyage et aventure, évidemment, mais aussi le duo de l'aristocrate et du loustic (le mot est employé par Jules Verne dans Cinq semaines en ballon), qu'on retrouvera notamment dans le tour du monde en quatre-vingts jours, ainsi qu'une "machine" d'une technologie remarquable mais... (je ne veux pas divulgâcher). Et puis il y a les mythiques sources du Nil, que Richard Francis Burton avait ardemment recherchées, et puis, et puis, et puis.


Le gros de l'histoire tient en peu de lignes (si, si) : un savant anglais, le Dr Fergusson, a pour ambition de rejoindre les sources du Nil à partir de Zanzibar, et de compléter, si l'on veut, le morceau de la carte de l'Afrique qu'on n'a pas encore explorée, entre les sources du Nil et d'autres sources (j'ai oublié lesquelles, d'ailleurs c'est peut-être même pas des sources). Mais surtout, il ne veut pas faire ce voyage n'importe comment, mais à bord d'un ballon gonflé à l'hydrogène et doté d'un système de son invention que je ne vous dévoilerai pas car je n'en ai rien retenu, si ce n'est que le ballon externe est doublé d'un autre ballon, interne, et que ce système doit permettre de monter et descendre à volonté, ce qui est en soi une immense prouesse technologique - et c'est tout ce que vous avez besoin de savoir. le voilà donc parti avec son ballon, son domestique Joe et son meilleur pote, chasseur invétéré, ce qui est bien pratique quand on est à cours de provisions et qu'on a besoin de se restaurer en cours route (perso, je mange pas de viande, je sais donc pas ce que je mangerais si je devais me retrouver dans une situation identique. Je doute de trouver du tofu sur le chemin.)


Évidemment, même si la technologie du Dr Fergusson donne de très bon résultats, tout ne va pas se passer comme prévu, par conséquent le ballon et ses passagers vont connaître quelques moments pas mal mouvementés et quelques soucis de ci de là, sinon ça serait ennuyeux à mourir. le suspens marche bien, c'est pas aussi palpitant, ni aussi drôle que le Tour du monde en quatre-vingt jours, mais ça se lit très bien. Sauf que c'est raciste, et raciste façon XIXème (je vous laisse imaginer le genre de trucs que peuvent dire les personnages sur les Africains...) Et c'est très étrange, parce que Joe fait des remarques, régulièrement, qui tendent à relativiser ce racisme très colonialiste, ce sentiment de supériorité de l'homme blanc typique de l'époque. Sauf que je ne sais pas si Jules Verne, par le biais du personnage de Joe, cherche justement à montrer que juger trop rapidement d'autres peuples à l'aune de nos critères européens, c'est pas forcément judicieux, ou si, tout simplement, Joe est un personnage qui prend les choses comme elles viennent (et François Angelier, si j'ai bien compris, privilégie cette seconde option).


Il y a un passage qui m'a beaucoup marquée, où le ballon survole une guerre entre deux peuples. Nos trois personnages assistent à cette guerre impitoyable depuis le ciel (ils sont pas plus rassurés que ça, faudrait pas que le ballon les lâche et qu'ils se retrouvent au milieu de plein de gars en train de se massacrer les uns les autres), Joe s'offusque de la sauvagerie de ces gens, le pote de Fergusson lui dit un truc du genre "Ben oui, mais c'est la guerre, et chez nous c'est pas bien joli non plus", et là Joe répond quelque chose comme "Mais oui, bien sûr, on n'a qu'à leur mettre des uniformes sur le dos, et c'est la même chose que chez nous. Au final, c'est partout pareil." Donc, le message de Jules Verne est pas franchement clair, et même constamment brouillé, constamment tiraillé entre les pires clichés et une tendance assez nette à relativiser l'utilisation de ces mêmes clichés. On trouve la même problématique dans Les Enfants du capitaine Grant, notamment dans la scène fameuse où Paganel explique pourquoi le cannibalisme des Néo-Zélandais est somme toute logique et que Mac Nabbs lui répond "Qu'il soit logique ou non d'être mangé, nous ne voulons pas qu'on nous mange." (Je suis une fan absolue de cette réplique.)


Donc, au final, je dirai ceci (tout ça pour ça, eh oui...) : c'est pas le meilleur Jules Verne mais c'est un Jules Verne d'une bonne facture (contrairement aux Tribulations d'un Chinois en Chine, qui est chiant comme la pluie), et particulièrement intéressant si vous êtes déjà un peu amateur de l'auteur. Mais que je donnerais pas vraiment à lire à des enfants, cela dit, et qui restera toujours pour moi, je crois, un plaisir coupable.
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