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Critique de Lamifranz


Entre « L'Ile mystérieuse » (1874) et « Michel Strogoff » (1876), c'est-à dire entre deux des succès les plus populaires de Jules Verne, parut ce « Chancellor », dont le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il fait riquiqui entre ces deux chefs-d'oeuvre. Riquiqui, et pas jojo ! Parce qu'alors, quel livre dramatique ! On a peine à croire que c'est le même homme qui nous faisait découvrir l'île Lincoln avec Cyrus Smith et ses amis, ou qui nous entraînait dans la steppe russe avec le Courrier du Tsar. Attention, je ne veux pas dire que c'est un mauvais roman, il est très bien écrit, au contraire, et se lit sans difficulté, mais comme il est sombre et noir ! Tenez, deux infos pour vous mettre dans l'ambiance : il a été conçu en 1870, au plus fort de la guerre franco-prussienne, et l'idée de départ vient du… « Radeau de la Méduse » (vous vous souvenez que ce tableau de Géricault (1819) relatait un naufrage de 1946 où les survivants, réfugiés sur un radeau, ne survécurent que grâce au cannibalisme).
Avec un tel sujet, on se doute que Jules Verne n'a pas écrit une opérette !
Le « Chancellor » est un voilier qui fait voile de Charleston (Caroline du Nord) à Liverpool. Comme par hasard, c'est un bateau qui attire toutes les catastrophes : d'abord on s'aperçoit que le capitaine est fou. Puis un incendie se déclare à bord. Puis c'est une tempête qui envoie le bateau sur un écueil. le voilier s'en sort de justesse et repart, mais il ne tarde pas à faire eau de toutes parts. L'équipage et les passagers se réfugient sur un radeau. La mutinerie gronde, et comme dans la chanson du « Petit navire », les vivres vin-vin-vinrent à manquer. Toujours comme dans la chanson, on en vient à envisager de manger un passager. Et juste au moment de hum passer à table, on arrive en vue des côtes brésiliennes.
Un sujet, donc, qui n'engendre pas la joie de vivre ! de plus, le roman est écrit à la première personne, par l'un des passagers, J.R. Kazallon, qui, avec un réalisme terrible, écrit son journal intime. Et, croyez-moi, J.R. ne néglige aucun détail. On est comme dans le « Lifeboat » d'Alfred Hitchcock : ce n'est ni plus ni moins qu'un huis-clos en mer. le drame met en relief les destinées individuelles et fait apparaître les êtres sous leur vrai jour. Les survivants ne pourront plus reprendre leur vie d'avant, là où ils l'avaient laissée.
Roman noir, sombre, épouvantable même, par son sujet, « le Chancellor » reste un « bon » roman de Jules Verne (faute de figurer parmi ses « grands » romans). Son tour de force aura été de rédiger le journal de J.R. Kazallon au présent simple, plongeant le lecteur en permanence au coeur du drame. Les chipoteurs diront avec un sourire en coin : « il a bien du mérite de tenir un tel journal avec encre et papier en de telles conditions », ils n'auront pas tort, mais ce détail passe quasiment inaperçu tant le récit est prenant, et parfois vertigineux d'un tragique qui vous saisit d'un bout à l'autre.
Le roman est resté méconnu. Vu le sujet, ce n'est pas étonnant. Il mérite cependant d'être redécouvert, à la fois pour la profondeur psychologique (ce n'est pourtant pas le point fort de l'ami Jules) et la facture particulièrement émouvante du récit.
Un autre côté d'un Jules Verne inattendu : loin de l'aventure, de la science, de la comédie,, c'est un Jules Verne grave qui met le doigt sur un problème de tous les temps (et qui se profile encore de nos jours) : le problème de la survie, et celui du retour à la barbarie en temps de crise.


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