AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Ode


Que dirait Boris Vian en apprenant que "L'écume des jours" figure désormais parmi les classiques de la littérature française que l'on étudie en classe ? Quelle ironie du sort pour celui qui tenait tant à s'en démarquer !

Replaçons-nous dans le contexte de l'époque. En 1947, "L'écume des jours" tombe comme un ORNI* dans le paysage littéraire : une histoire farfelue mettant en scène des duos amoureux étonnamment modernes pour l'après-guerre, des néologismes à foison et une caricature outrée des structures sociales et des courants de pensée de l'époque. Les personnages évoluent dans une ambiance tour à tour lumineuse ou glauque, mais toujours étrange, selon une chorégraphie aussi imprévisible qu'un solo de jazz.
Certes, ce n'est pas le roman le plus contestataire ni le plus choquant de Boris Vian ; "l'Arrache-Coeur", ou "J'irai cracher sur vos tombes", par exemple, sont en ce sens plus marquants. Ici, l'auteur cultive l'absurde pour lancer diverses piques sur l'organisation du travail, la religion, le pouvoir de l'argent et la société de consommation. Citons pour cela le personnage de Chick, l'ami de Colin : tellement obsédé par son adoration compulsive pour Jean-Sol Partre (l'avatar romanesque de Sartre), il en oublie tout le reste, au grand désespoir de sa fiancée Alise qui n'hésitera pas à se venger dans les grandes largeurs.

Or avec le temps, l'étrangeté des situations a pris une dimension onirique et le vernis de rébellion s'est écaillé au profit d'une poignante histoire d'amour et d'amitié. Ce thème universel a créé la légende du roman, suscitant par la suite l'engouement croissant des lecteurs. Car ce dont on se souvient toujours, même des années après la lecture, c'est bien que Colin aime Chloé, et réciproquement !
On ne peut qu'être touché par ce premier amour, pur, débordant et malheureux, car ravagé par la maladie et la présence oppressante de la mort. le nénuphar qui dévore les poumons de Chloé étouffe en même temps leur bonheur. Colin se ruine pour acheter les fleurs censées la soigner, tandis que le chagrin rétrécit et assombrit inexorablement leur logement. Les adolescents se reconnaîtront dans ce parcours initiatique qui mène à l'âge adulte, à ses responsabilités et à ses drames face à la cruauté de l'existence.

Comme un fauve qui se laisse apprivoiser, ce roman fantasque est ainsi devenu un classique malgré lui. Joliment rééditée en poche pour quelques "doublezons", cette Love Story extravangardiste** n'a pas fini de remuer ses lecteurs.

------
(*) Objet Romanesque Non Identifié
(**) Extravagante et avant-gardiste
Commenter  J’apprécie          1466



Ont apprécié cette critique (105)voir plus




{* *}