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Critique de Creisifiction



Estimado señor Vilas,

Comment vous décrire toute ma déception en tant que lecteur ?
Car après avoir été touché par la grâce d'un de vos précédents ouvrages, parfois jusqu'aux larmes – votre «Ordesa», petit bijou d'intelligence émotionnelle, empreint de poésie naturelle, spontanée, exercice d'une grande délicatesse qui tout en évitant le piège d'un rayon qui personnellement m'insupporte au plus haut point, celui de «l'auto-support», élève, sans mièvrerie, comme en un écho à l'épigraphe que vous lui aviez choisie (extraite de la magnifique chanson de Violeta Parra, «Gracias à la Vida»), une ode à la vie et une invitation à pratiquer une forme de «mystique» païenne imprégnée de gratitude et d'amour inconditionnels- , comment concevoir, donc, en refermant votre dernier opus, «Irene», à mes yeux, pardonnez-moi, sans aucun intérêt, d'une grande vacuité, d'une facture littéraire globalement, comment dire…pas du tout à niveau, ou en tout cas pas de votre niveau à vous, comment imaginer qu'il puisse s'agir du même auteur ??
Je suis peut-être très, trop sévère, je le sais. «Qui aime bien , châtie bien», dit-on en français ! (Il doit certainement exister une formule équivalente en espagnol).
Je n'y peux rien, estimado señor, malgré toute ma bonne volonté, à aucun moment votre roman ne m'aura emporté nulle part ailleurs que dans une profonde incompréhension. Et la lecture, plus qu'ennuyeuse, m'aura été, jusqu'au bout, pénible.
Et pourtant, ça promettait : la photo de la plus-que-sublime Anouk Aimée – inoubliable Lola, de Jacques Demy ; la «Femme» chez Lelouch ; sulfureuse Maddalenna de «La Dolce Vita»… - sur la couverture de la traduction française, offrant d'entrée de jeu au lecteur que je suis à la fois une magnifique imagerie fantasmatique et une enveloppe corporelle taillée sur mesure à votre personnage central, Irene, et puis votre note d'introduction la présentant comme une incarnation (qui me ferait immédiatement penser aussi au chef-d'oeuvre de Wim Wenders, «Les Ailes du Désir») de «ces anges qui existent peut-être discrètement», «hommes et femmes qui traverseraient notre monde sans d'autres objectifs que l'amour».
O Caritas ! Nobis semper sit amor !

Hélas, Irene se révèlerait rapidement n'être qu'un personnage «de papier», dépourvu de toute épaisseur, factice, qui ne me suscitera rien, aucun sentiment de ma part, ni empathie, ni séduction, ni compassion, ni quoi que ce soit d'autre...!

Et pourquoi pas, avais-je pourtant essayé de me rassurer dans un tout premier temps de ma lecture, persuadé que je suis qu'on peut transformer n'importe quel matériau, une liste de courses, un rapport de réunion de copropriété ou tout autre chose, en un texte beau, ou original, ou intéressant, et qu'à défaut d'une suspension naturelle de l'incrédulité, un guide chevronné, un pilote à bord du récit, un marionnettiste visible et habile comme dans le bunkaru japonais peuvent parfois très bien faire l'affaire !!
Je me suis alors mis à vous chercher, señor Vilas.. En vain !
Bien que vous y ayez ajouté un narrateur à la troisième personne et que, dès lors, ce soit légitime, n'est-ce pas, qu'on s'attende à un minimum d'omniscience, ou d'un recul plus ou moins implicite par rapport aux évènements, ce dernier a cependant l'air de ne jamais décoller d'un pouce du plancher des vaches, semble adhérer systématiquement et surtout prendre très au sérieux toutes les frasques et sornettes que votre personnage enchaîne dans une surenchère de plus en plus flagrante..,À un tel point que, désorienté, ne sachant plus à quel saint me vouer, ni à partir de quel degré prendre les choses (sérieux ? pas sérieux ?), l'idée absurde traverserait un moment mon esprit (déjà bien entamé lui aussi) que peut-être le «x» résiderait justement dans une éventuelle «mise en abyme», une confusion volontaire que vous chercheriez à provoquer chez le lecteur, entre la place et le rôle de chacun, et que, grâce à un retournement des choses que vous réserviez pour plus tard, tout finirait par rentrer dans l'ordre…
Bref, que vous auriez peut-être concocté une parodie qui ni dit pas, tout de suite, son nom, une vraie fausse-satire de la perte de repères, de la déréliction et de la vacuité qui nous menace aujourd'hui, et de l'inutilité de la littérature aussi, etc., etc…Sornettes!

En attendant, pendant plus de deux tiers de votre livre, mis à part, je reconnais, quelques rares perles faisant toujours foi de votre potentiel poétique, mais que j'aurais personnellement du mal à isoler au milieu du redoutable vivarium d'inepties débitées par Irene, je devrais me faire violence et avaler donc une quantité phénoménale de couleuvres lâchées au bord de la Méditerranée, au cours de ce qui se présente comme une sorte de «road-trip» (ou plutôt «road-strip» d'ailleurs, vu le nombre de fois où la coquine se fout à poil !!) de veuve inconsolée, fuyant un deuil impossible. D'hôtel de luxe en palace cinq étoiles, de la côte espagnole jusqu'en Italie, en passant par Sète ou Nice, le même schéma se répète à chaque fois : Irene drague, pas la mer, non, mais des hommes et des femmes qu'elle croise au hasard et qu'elle va consommer sur le pouce, exclusivement afin de pouvoir faire apparaître quelques instants, pendant l'acte et au moment même de son orgasme, l'image de son mari défunt «en haut d'une échelle et entouré de flammes»!!! Voyons, tout de même..!

Une chose au moins on ne peut pas vous refusez : vous prouvez d'une fois pour toutes que les anges ont bien un sexe et savent, en plus, parfaitement s'en servir !

En revanche, pour ce qui est d'une cervelle, il faudra peut-être repasser…Votre Irene, j'avoue, m'a profondément énervé avec sa superficialité et ses caprices de femme-enfant, avec son goût de produits de luxe, de voitures de haut standing, son obsession pour les montres en or et les grands parfums, cités à tout-va. Diable, me dis-je, elle aurait mieux fait de tenir un de ces blogs qui font sensation en ce moment, au lieu de nous embêter avec tout ça pendant deux cents pages : «Irene Situations » !

Et puis, sincèrement, comment s'émouvoir d'autre part des souvenirs qu'elle égrène au fur et à mesure de ce bonheur conjugal perdu qu'elle veut à tout prix rattraper, parfaitement bébête et égoïste, aussi peu consistant et superficiel que tout le reste, surdimensionné et étalé surtout en larges couches de mots vides et galvaudés, au point de vous en donner la nausée ?

D'une station balnéaire à l'autre, donc, d'Espagne jusqu'en Italie, en passant par le midi de la France, d'homme en homme, parfois des femmes, on finit par se douter bien que ce n'est pas possible, qu'il faudra bien arrêter tout ça à un moment ou à un autre, que vous ne voudrez tout de même pas faire éternellement durer cette ritournelle, en boucle, telle la chanson de Brel, «Les Remparts de Varsovie» : « Madame promène son c… etc.,etc.» !!

Et boum, voilà que subitement tombe le rideau !
Mais alors, señor Vilas, quelle déception encore plus importante, celle de vous voir vous en sortir par l'un des clichés les plus rabâchés de toute l'histoire de la littérature !
Un dénouement, soi-disant inattendu (mais qu'on aura revu des centaines de fois depuis le temps !), dépourvu toujours de toute mise en perspective et ne répondant, en ce qui me concerne, à absolument aucune de mes interrogations précédentes. Et qui plus est, sincèrement, ne changeant rien sur le fond à cette histoire absolument farfelue et inintéressante, ni pour moi, ni d'ailleurs pour Irene..!
Je ne pourrai malheureusement pas vous en parler plus en détail de ce que je pense de cette fin, dans la mesure où, je dois vous l'avouer – tout en espérant que vous n'allez pas trop m'en vouloir - , je m'étais en même temps engagé à publier cette lettre ouverte sur un site de lecteurs en France, et que, par respect à d'autres potentiels lecteurs de votre livre, je ne souhaite surtout pas «divulgâcher» l'histoire…

Avant de terminer cette lettre, sachez néanmoins, estimado señor, que je garde malgré tout «Alegria», la suite que vous aviez donné à «Ordesa », dans ma liste de lectures à venir !
Et que de toute façon, ma déception et cet avis personnel, très négatif, n'auront sans doute aucune incidence importante, n'est-ce pas, sur l'avenir et le succès de votre livre, qui par ailleurs vous a déjà valu un prix, le prix Nadal de « meilleur roman espagnol » de l'année !!

Ça, c'est de la réalité..!!

Je vous laisse, sinon, et je vais essayer de me calmer. D'ailleurs, j'entends frapper à la porte de ma chambre. C'est certainement l'infirmière.

Bien à vous !

……

(Je tiens malgré tout à remercier vivement Babelio et les Éditions du Sous-Sol pour l'envoi de ce roman dans le cadre d'une opération «Masse critique privilégiée», même si, comme il sera aisé de le constater, malheureusement pour moi, cela se terminerait en un désagréable «coup de massue» !)


….
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