Au fond je me contrefiche de me souvenir. D’ailleurs je ne crois pas aux souvenirs, nous sommes bien trop doués pour les truquer. Non, je cours après des sensations dont je connais l’arrière-goût et que pourtant je sais perdues à jamais, une ribambelle d’instants heureux et fugitifs, du bonheur en moignon – ma seule mémoire véritable.
C’était un jeu innocent. Ça ne veut pas dire que ce n’était pas pervers, mais ils étaient comme moi, ils n’étaient que des enfants. Je ne sais pas si l’on peut dire d’un enfant qu’il peut être pervers, mais s’il l’est je crois qu’il ne le sait pas. Enfin. Il a peut-être l’intention de l’être mais il ne sait pas forcément qu’il en a l’intention. Voilà. C’est pour ça que je ne leur en voudrai jamais. Quand ils ont baissé ma culotte c’était vraiment pour jouer, d’ailleurs je m’amusais autant qu’eux. J’aurais pu le leur faire moi aussi, peut-être même que j’y ai pensé. Après tout c’était amusant, ce jeu entre eux et moi. Une fille, deux garçons : même à cet âge on sait bien qu’il se passe quelque chose, qu’il y a de la malice en tout. On voudrait se faire croire que l’innocence perdure, mais c’est juste pour profiter encore un peu. Et puis c’est une sensation délicieuse que de se sentir si douce et si nue dans l’océan. Ça devrait, en tout cas.
Il faut vivre, l’azur au-dessus comme un glaive
Prêt à trancher le fil qui nous retient debout
Il faut vivre partout, dans la boue et le rêve
En aimant à la fois et le rêve et la boue.
CLAUDE LEMESLE – SERGE REGGIANI