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Citations sur Les sables savants (10)

Je touche le fond de la cruauté du monde avec ce qu’il me reste de carcasse humaine. Depuis des semaines, nous parcourons des landes sans fin, grisâtres, lourdes de brouillard, emportés dans un mouvement de foules désespérées vêtues de guenilles et de stupeur. Personne ne sait faire rien d’autre que faire avancer ses os et ce qui reste de chair et d’instinct de survie. Des bêtes se seraient couchées pour regarder paisiblement la mort les envelopper et les délivrer. Mais les humains ne sont pas raisonnables. Ils se lèvent en rampant pour lui échapper. Même si chaque pas est une explosion de souffrance, c’est encore la vie.
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Extrait de Edmond, printemps 1945, Village de Warbende

Il vit qu’il était tous les enfants à la fois, mais les vieux aussi, les Noirs, les Blancs, les Jaunes. Il vit qu’il était pierre, feu, éther, planète, dieu et diable, monstre et ange, rire et peur. Il était tout à la fois même si sa vie n’avait été qu’un point à l’infini.
Une fleur bleue de la robe de Suzanne se déposa dans sa main Elle sentait bon. Il la serra. Mais il n’avait plus de force. Alors il s’envola avec elle.
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Pourquoi écrire dans l’absurdité de ce camp?
J’ai juste envie de le ( le livre Les Sables savants) ramener à Suzanne, comme un gosse ramène un bouquet de fleurs des champs à sa chérie. Là, ce sont des fleurs de champs de bataille. Des chardons. Elle se moquera de moi comme elle aime le faire. C’est de façon à elle d’être pudique.
- Mon chéri, voilà, tu reviens de captivité et la seule chose que tu es capable de me ramener c’est un roman. Ne me dit pas que même là bas, tu pensais au Grand Prix ?
- Si, mon amour.
- Et tu pensais plus au Grand Prix qu’à moi?
- Oui, mon amour.
Je la prendrai dans mes bras, je l’étoufferai, je sentirai chacune des ses côtes, de ses vertèbres, de ses hanches, je l’enfoncerai en moi, je me perdrai en elle, je
me couvrirai de ses cheveux, le la respirerai, je me l’incrusterai à vie.
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Mon amour, je divague. J’ai chaud. Je tremble. C’est la fièvre. La peur aussi. Peur de te perdre. Peur de n’être pas celle que tu crois. Peur de ne pas être ce que je croyais être. Je suis la veuve d’ un mort-vivant. Et toi ? Tu écris, Je le sais. Tu écrirais n’importe où. Tu écriras dans la mort. Tes mots te survivront. Tu m’écris peut-être en ce moment. J’entends le raclement de la mine sur le papier de fortune. Ta main n’a pas oublié comment coucher les caresses que tu inventes pour moi. Les hommes les ont piétinées, mon Amour. Il n’y a plus de tendresse. Elle est morte avec la déclaration de guerre. …
Je m’enfonce dans la tourbe qu’ont remuée les nazis. Je ne supporte plus les regards gênés. Ce poids de la compassion. Cet air calculé pour être limpide mais dont on perçoit le trouble. Où est la Suzanne téméraire que tu as emporté dans ton baluchon de soldat ? Comment se relever lorsque tout son peuple est mis au ban de l’humanité ? Je creuse ma galerie comme un ver sous la terre épaisse piétinée par la foule. Ils y sont arrivés. Ils nous ont réduits à l’état de cafards.
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Pourquoi écrire dans l'absurdité de ce camp ? Qui lira Les Sables savants ? Ces feuillets auront-ils un jour des lecteurs ? Peut-être s'envoleront-ils sur les berges de l'Oder lorsque notre petit monde sera englouti sous des années d'attente vaine. Peu importe. J'ai juste envie de le ramener à Suzanne, comme un gosse ramène un bouquet de fleurs des champs à sa chérie. Là, ce sont des fleurs de champs de bataille. Des chardons. Elle se moquera de moi comme elle aime le faire. C'est sa façon à elle d'être pudique.

- Mon chéri, voilà, tu reviens de captivité et la seule chose que tu es capable de me ramener c'est un roman. Ne me dis pas que, même là-bas, tu pensais au Grand Prix ?

- Si, mon Amour.

- Et tu pensais plus au Grand Prix qu'à moi.

- Oui, mon Amour.

Je la prendrai dans mes bras, je l'étoufferai, je sentirais chacune de ses côtes, de ses vertèbres, de ses hanches, je l'enfoncerai en moi, je me perdrai en elle, je me couvrirai de ses cheveux, je la respirerai, je me l'incrusterai à vie.
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— Et pourquoi pas ? C’est ça, justement, la littérature ! Être capable de s’emparer d’un grain de sable, d’un courant d’air, d’une épluchure de pomme de terre, pour en faire un chef-d’œuvre.
— Arrête, avec ton sarcasme. Quand on n’a aucune ambition, c’est facile de tout tourner en dérision.
— Pas du tout, je suis sérieux.
— C’est plus grave que ça, Émile. Ce n’est pas qu’une question d’inspiration. L’acte d’écrire n’a plus de sens lorsque le monde est en train de s’effondrer. Des hommes se battent, d’autres soignent, d’autres produisent, d’autres bâtissent et moi, j’écris. Quelle absurdité !
— Si tu pars par là, tout est absurde. Ne réfléchis pas à un sens. Écrire, c’est ta colonne vertébrale. C’est tout.
Avec toute la déférence qu’il porte à ces pommes de terre, aliment rare dans leur quotidien de rutabagas, Émile nettoie délicatement la chair blanche, l’essuie avec la tendresse d’une mère et range soigneusement les bâtonnets en petits tas. Les épluchures sont lavées et gardées pour agrémenter un bouillon. Pour Émile, ces gestes du quotidien sont des garde-fous. Il prend de plus en plus de plaisir à accomplir les corvées. Edmond, lui, se brûle de l’intérieur et l’extérieur ne lui est plus d’aucun secours. Ils se sont déchirés sur tous les sujets : religion, art, politique, culture, littérature, histoire. Certains jours, il suffit que l’un dise blanc pour que l’autre dise noir. La querelle naît, enfle, s’égare, s’apaise et recommence de plus belle, nourrie par les railleries et les certitudes. Le lendemain, tout est oublié hormis la sensation d’avoir été encore vivant.
— Tu as raison, je n’ai pas le choix. Dans « Les Sables savants », j’essaie de parler de nous. Un théâtre, posé sur les sables de l’Oder. Des figurants sont là. Ils errent dans le dédale de leurs limites. Leurs occupations se résument à les repousser à chaque instant. Mais ces arrangements, ces micro-combats quotidiens les sauvent. Sans ça, ils seraient des larves. Leurs faiblesses les narguent plus que les regards de leurs geôliers. Dans ce roman, Émile, c’est la guerre intérieure, et quand l’ennemi est soi-même, c’est encore plus difficile d’en cerner la stratégie. Le plus grand danger qui les guette, c’est de ne plus croire en rien. Et je crains que la chute ne soit un vertige dans l’inconnu.
Émile écoute Edmond parler de son roman. Adepte de l’ironie socratique, il aime tenir ce rôle d’accoucheur d’âme. Mais bien souvent il est pris à son propre piège, ne sachant plus où se trouve la frontière entre les croyances et la réalité. Faire l’apologie du rien faisait déjà partie de sa philosophie, jusqu’à ce qu’il l’expérimente dans le camp.
— ­Moi, je trouve que c’est bon de ne plus croire en rien. Avoir la tête vide, le cerveau à l’arrêt. Plus de pensées. Tout a tellement été dit, écrit, rabâché, et rien n’a changé. À chaque instant, l’homme sort de sa préhistoire.
— Il faudrait savoir. Plus rien n’aurait de sens et tu me dis d’écrire.
— Non, toi, ce n’est pas pareil. Tu ne joues pas à l’écrivain. Tu ne te regardes pas écrire. Tu es habité par l’écriture. Regarde-toi, avec ton corps filiforme et tes épaules voûtées, tu ressembles à un point d’interrogation.
Piqué au vif et conscient de son attitude avachie, Edmond se redresse en raclant machinalement le gras de la table avec l’ongle trop long de son pouce. Après un bref moment de réflexion, il repousse ses feuilles, dépose son crayon au-dessus et se tourne vers Émile, disposé à entamer une conversation plus légère.
— Je ne sais pas si je dois prendre ça pour un compliment. Je me passerais bien du corps filiforme, surtout quand je te vois bâti comme un athlète.
Émile, conscient de sa stature imposante, redresse légèrement son torse et sourit à son ami.
— Oh ! N’exagère pas. Allez, quelques parties de foot avec les autres blocs et tu seras présentable.
— J’en doute fort. Les muscles sont le dernier de mes soucis et ils me le rendent bien.
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Y'en a eu des morts chez les salauds. Ca nous vengera jamais. Un mort, il fait pas ressusciter les autres. Les hommes, ils comprennent pas ça.
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Mais il est toujours trop tard pour les femmes qui ont attendu.
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Non, il pleut. A peine. Et ce "à peine" est inquiétant. Fade. Gris. Mesquin. Ne pas commencer à voir les signes. Il nous arrive souvent de passer une bonne journée alors que tout laissait présager le contraire. Ce petit crachin ne va pas venir tout gâcher.
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Quand le destin l’a décidé, c’est comme ça. Parce que malgré la farine dans mes oreilles, dans mes poumons et dans tous les trous du fournil et dans les fissures du plancher, je l’ai entendue. Pedro ! Pedro ! Tu es là ? qu’elle disait à travers le soupirail. Verge santa ! j’ai dit. Écoute bien, on dirait la voix de Suzanne. Sa voix, je la reconnaîtrais partout. Même sourd. Comment elle pouvait être là, dans la nuit ? Il devait y avoir un danger.
Suzanne, elle était pleine de mystère dans ses regards. Ses yeux, ils correspondaient pas toujours à ce qu’elle disait. Mais j’avais pas essayé d’en savoir plus. C’était cet inconnu qui la rendait plus belle. Mais pourquoi elle était venue ici ?
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