Ma tête gronde comme un ciel démâté qui a perdu tout équilibre; brassées d’images télescopées, voix de bisaïeuls perdues dans le dédale généalogique, capharnaüm des noms, tout s’y mêle allègrement. Le vent de la trahison souffle des traits de feu, c’est le grand lessivage ethnique.
Le goûteur d'étoiles : "Notre troupeau a grandi dans le désert et depuis l'éternité attend l'herbe fraîche."
Le guetteur de l'horizon : "J'ai vu les chameaux de la pluie chargés de nuages et d'espérance. Je suis guetteur de l'aube par habitude et tout ce que je prédis arrive toujours."
Daher pose une question trop difficile pour toute la foule l'encerclant. Il s'en vient donc avec cette question : "Quel est le seul pays au monde dont le nom fait référence au Christ ?" Bouches cousues et têtes courbées. Non pas le Vatican, cherchez encore. Personne ne sait. Eh bien, la réponse est… : "El Salvador. Le Sauveur." Quelqu'un soupire qu'une telle question ne peut être fournie que par le muezzin.
Regardez autour de vous, ne voyez-vous pas que la Terre ne tourne plus rond ?Ou plutôt elle ne suit plus la même ronde, elle est en retard d'une seconde tous les ans. Imaginez la rigolade lorsque le jugement dernier sera reporté à une date ultérieure, voire annulé.
Je vous livre mon récit de chair et de sang, le testament tourmenté de ma vie que d'autres ont disséqué avant moi; les versions se suivent et se ressemblent un peu. Moi Ahmet, le neveu révolté, le soldat hailloneux riche seulement d'espoir et de crasse, je vous parle du royaume pourri et de la famille disloquée.
Le muezzin habite la mosquée parce qu'il ne possède pas un lieu privé qu'il puisse appeler "ma maison". Le jour, la mosquée est un lieu de dévotion, d'adoration et de prière tandis que la nuit elle se mue en un habitat partagé, impersonnel, intemporel, blanc et ordonné. Le visage de Daher y est bouleversant de fragilité et de mélancolie entre les seins naissants du jour. Connaît-il, à cet instant, ce malheur qu'on dit ami des poètes ?