Ce tome fait suite au dernier tome de Daredevil de
Waid & Samnee qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu avant. En effet il ne se s'agit pas de la suite des aventures de Daredevil, mais de la suite de la collaboration entre les 2 auteurs. Il contient les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2016, écrits par
Mark Waid, dessinés et encrés par
Chris Samnee, avec une mise en couleurs réalisée par
Matt Wilson. Samnee a également participé à l'écriture du scénario.
Black Widow (Natalia Romanova) se fraye un chemin dans la partie administrative d'une base du SHIELD. Elle repousse les agents de bureau au fur et à mesure qu'ils se mettent dans son passage, alors qu'une annonce au micro indique qu'elle doit maintenant être considérée comme une ennemie de cette organisation de contre-espionnage. En défonçant une cloison, elle arrive dans une salle avec des agents de terrain dont Emily Preston (en provenance de la série Deadpool). Elle continue sa course obstinée et finit par passer à travers une vitre, se retrouvant ainsi à l'extérieur du Helicarrier, à plus centaines de mètres dans les airs. La chute va être longue et périlleuse.
Il y a une semaine une agente du Shield (référencée 00687573) était enterrée dans l'anonymat, en présence de l'agent Elder son supérieur hiérarchique, de Maria Hill et de quelques autres agents. de manière camouflée, Black Widow était également présente et faisait le ménage parmi un certain nombre d'individus masqués aux alentours. Elle finit capturée par un individu qui se fait appeler Weeping Lion. Ce dernier lui explique qu'il dispose d'informations compromettantes sur elle, et exige qu'elle accomplisse plusieurs missions pour lui, à commencer par récupérer des informations à bord de l'Helicarrier. La suite va l'amener à retourner sur le site de la Red Room, à savoir l'organisation qui l'a entraînée il y a de cela quelques décennies, commandée par la Proviseure (Headmistress), où elle s'était liée d'amitié avec Anya.
La précédente série consacré à Black Widow avait été remarquable par sa capacité à raconter une histoire d'espionnage complexe sans être incompréhensible, à avoir survécu à un crossover avec la série du Punisher du moment, et présenter une esthétique originale, en 3 tomes par
Nathan Edmondson &
Phil Noto. Cette nouvelle série n'est pas une continuation de la précédente, mais plutôt une continuation de la collaboration créative de
Mark Waid et
Chris Samnee, scellée avec la précédente série mensuelle de Daredevil. En détaillant les tâches de chacun des créateurs dans ce comics, le lecteur constate que
Chris Samnee est qualifié de coscénariste. Il constate ensuite que le nombre de phylactères et de cartouches de texte est assez réduit, voire presque nul dans le premier épisode. Comme souvent dans ces cas de narration majoritairement visuelle, le tome se lit rapidement, 2 fois plus vite qu'un autre d'une même pagination.
Le premier épisode consacre ses 20 pages à la fuite de Black Widow pour échapper à ses poursuivants du SHIELD qui s'avèrent tenaces et bien entraînés. Il accomplit donc l'objectif de montrer que Natalia Romanova dispose d'un niveau de compétence supérieur à celui de l'agent de rang, acquis au fil des décennies, à partir d'un entraînement initial sortant de l'ordinaires (ces russes utilisaient des pratiques non conventionnelles et peu respectueuses des droits de l'homme). Les quelques phrases prononcées sur le sujet dans ces 6 épisodes, et la démonstration desdites compétences dans ce premier épisode convainquent le lecteur de la réalité de ce niveau de compétences.
Il y a bien une intrigue qui court d'épisode en épisode.
Mark Waid a conçu un fil rouge qui révèle petit à petit plusieurs factions. Au départ, le lecteur est tenté de se dire qu'il a choisi la facilité : Black Widow est manipulée et elle se retrouve sur la liste des individus recherchés par le SHIELD, pour acte criminel. Il ne s'agit pas d'une situation vraiment originale que de la mettre en cavale, et en plus cela conduit souvent à des scènes d'action gratuites dans lesquelles l'héroïne échappe aux agents, ou alors cette situation n'a pas vraiment de conséquence, si ce n'est le fait qu'elle voyage incognito. En scénariste aguerri,
Waid en tire une séquence d'action incroyable pour le premier épisode, et des moments plus complexes pour les épisodes 2 et 5. Il n'abuse des confrontations avec les agents du SHIELD pour remplir son quota d'action. Par contre il fait bien ressentir que Black Widow joue un jeu d'agent double, traître aux yeux de son organisation d'origine.
Sans être très épaisse, l'intrigue, ou plutôt les fils narratifs (celui avec Weeping Lion, et celui avec Red Room) maintiennent un réel suspense quant à qui tire les ficelles, et quant à la stratégie conçue par Black Widow, que le lecteur découvre en temps réel au fur et à mesure qu'elle la met en oeuvre. Loin de démériter,
Mark Waid fournit un vrai scénario qui s'appuie sur les grands traits de l'histoire personnelle de Black Widow, sans besoin d'en savoir beaucoup sur le personnages (avec un ou deux clins d'oeil aux lecteurs les plus assidus, par exemple l'historique de sa relation avec Hawkeye) pour comprendre le récit, sur quelques éléments de l'univers partagé Marvel (le SHIELD et quelques autres), pour raconter un thriller rapide, avec espionnage et double jeu, entre plus de 2 factions. Bien sûr, ce n'est qu'une supposition facile d'attribuer l'histoire à
Waid, et la narration visuelle à l'artiste.
La lecture du premier épisode laisse quand même supposer que l'apport de
Chris Samnee se trouve dans la nature des séquences d'action et dans leur mise en images. On imagine facilement Samnee disant à
Waid : pour le premier épisode, il faut 20 pages de course-poursuite spectaculaire.
Waid s'exécute, et Samnee remplit sa mission avec brio. Bien sûr, le lecteur retrouve les conventions attendues de ce genre de scène, à commencer par la chute libre sans parachute, sans oublier la poursuite entre moto et voiture, avec le conducteur de la dernière tirant sur la conductrice de la première. Si les conventions sont bien là, la narration visuelle n'en reste pas moins remarquable par sa qualité, à commencer par le fait que les dessins racontent 95% de l'histoire. Samnee utilise un trait un peu gras pour les détourer les contours des formes. Il adopte une approche descriptive, avec un degré de simplification dans les formes et des aplats de noir assez marqués. Il en découle des dessins très faciles à lire, tout en conservant un degré de noirceur qui atteste que c'est du sérieux, et un niveau de détails qui donnent à voir une réalité concrète et consistante.
L'artiste se montre encore plus habile dans le sens où il utilise des clichés visuels pour que le lecteur complète de lui-même les informations manquantes, augmentant encore son rythme de lecture et donc le rythme de la narration. Par exemple, dans le deuxième épisode, Natalia Romanova se tient en retrait de la cérémonie d'inhumation, l'observant à partir de la lunette de visée d'un fusil longue portée. L'artiste montre le fusil, la tenue adaptée à la pluie de l'héroïne, les agents du SHIELD présents et quelques silhouettes cagoulées, évoluant entre des arbres implantés de façon clairsemée. le lecteur complète par lui-même les détails du lieu (pierres tombales, allées, plan d'ensemble du cimetière) sans qu'ils n'aient besoin d'être représentés. La séquence ne perd rien en consistance, et les dessins peuvent se concentrer sur les mouvements de combat de Black Widow. À l'opposé,
Chris Samnee peut se montrer très méticuleux dans les détails : aménagements des bureaux administratifs du SHIELD dans l'Helicarrier, matelas et sommiers dans une grande pièce désaffectée, sympathique terrasse de café avec chaises, tables, plante grimpante le long des piliers, rue commerçante, évolution d'un véhicule dans un parking à étage, etc.
Son découpage de planche donne vie au mouvement quel qu'en soit la nature. Les dessins sont donc facilement lisibles par l'oeil, mais les actions aussi. le lecteur n'éprouve jamais l'impression que le dessinateur se fait plaisir sur une case pour lui en mettre plein la vue. Samnee a vraiment à coeur de raconter une histoire, avec des suites de cases qui rendent compte du mouvement, des déplacements des individus, de la force des coups portés, des dégâts occasionnés, qu'il s'agisse d'une action spectaculaire avec des dégâts importants, ou d'une action furtive avec un assassinat rapide. le lecteur prend donc un grand plaisir dans cette forme de divertissement d'action, à la fois vif, varié et impressionnant du fait du professionnalisme de Black Widow.
Ce premier tome de la série 2016 de Black Widow remplit son objectif de divertissement rapide et sans fioritures. Avec un art consommé du découpage et des dessins précis et rapides à lire,
Chris Samnee donne à voir les interventions spectaculaires ou discrètes de Black Widow, terrible dans son efficacité.
Mark Waid fournit une trame dépassant le simple affrontement entre bien et mal, étoffé par quelques éléments de l'univers partagé Marvel, avec une sensation de récit d'espionnage, plus porté sur l'action que sur les jeux de dupes. le tout constitue une lecture très agréable, un peu rapide pour 6 épisodes, avec l'impression que la dextérité gracieuse des auteurs relève parfois plus de l'exercice de style parfaitement maîtrisé, que d'une histoire avec des personnages étoffés.