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Tous les hommes du roi » de
Robert Penn Warren embarque le lecteur dans les années 30, dans le sud des États-Unis. Willie Stark dit le Boss, ancien homme du peuple et idéaliste devenu gouverneur. Pour arriver à ce poste, il lui aura fallu se muer en populiste sans scrupule, et user de méthodes que la morale réprouve. Mais il n'aurait jamais pu se maintenir si longtemps et si haut sans l'aide de sa clique. Son porte-flingue et chauffeur, Sugar Boy ; sa secrétaire implacable et intransigeante, Sadie Burke ; et le journaliste qui fut d'abord chargé d'enquêter sur lui et qui devint son homme à tout faire (et accessoirement narrateur de notre histoire) en la personne de Jack Burden.
C'est à ce dernier que Stark va demander d'enquêter sur le passé de l'incorruptible juge Irwin - unique obstacle à son accession au mandat de sénateur. Dans la pensée du Boss, il y a toujours quelque chose à déterrer du passé de quelqu'un. Ou pour citer cette phrase du même Stark, mise en exergue de la splendide édition de chez
Monsieur Toussaint Louverture : « L'homme est conçu dans le péché et élevé dans la corruption, il ne fait que passer de la puanteur des couches à la pestilence du linceul. »
C'est toujours une gageure que de réduire, l'immensité et la richesse d'un roman, à une critique composée avec si peu de caractères.
Ceux qui me suivent depuis un moment doivent savoir la place que tient la littérature américaine dans mes lectures. J'apprécie plus particulièrement la capacité qu'ont les auteurs américains d'intégrer dans leurs écrits l'Histoire de leur pays et ses conséquences d'un point de vue sociologique et psychologique. La manière que cette dernière impacte la psyché de la population, sans pour autant tomber dans un discours unidimensionnel, larmoyant et indigné (une spécificité devenue… hélas ! bien française). Chez
Robert Penn Warren, cela se manifeste par des personnages sous l'emprise de tiraillements intérieurs. Ils portent en eux la responsabilité collective de l'esclavage, et sont les grands perdants de la guerre de Sécession, cela se répercute au quotidien dans leurs actions, dans leurs choix.
Si le nom de
Robert Penn Warren demeure assez confidentiel dans nos contrées, il est reconnu comme l'un des plus grands écrivains américains du siècle dernier. Une oeuvre littéraire récompensée de trois prix Pulitzer, dont deux rien que pour sa poésie. L'auteur fut à la fois romancier, poète, critique littéraire, essayiste et universitaire. En résulte dans son oeuvre romanesque une prose poétique aux questionnements métaphysiques et philosophiques. Comme tous les auteurs intelligents, il a une gestion de la narration qui lui est propre. Il s'amuse à perdre le lecteur dans des digressions - pour mieux le retrouver plus tard. Contrairement à ce que laisserai paraître son résumé ; «
Tous les hommes du roi » n'est pas un roman sur les rouages de la politique. Il questionne avant tout l'individu face à son passé, sa manière de gérer les bons comme les mauvais éléments et de l'incorporer dans un héritage historique collectif problématique.
Un très grand roman et un sérieux candidat à ma lecture de l'année 2024.