Citations sur La fin des terroirs : La modernisation de la France r.. (13)
Les rapports des officiers font état de l'obligation de l'emploi d'interprètes pour comprendre les parlers locaux incompréhensibles.
En 1858, la Vierge qui apparut à Bernadette Soubirous n'avait pas besoin d'interprète ; mais elle jugea nécessaire de s'adresser à la jeune fille dans le dialecte pyrénéen de Lourdes, où ses paroles sont maintenant gravées :
" Que soy era immaculade concepcion ".
Dans les Hautes-Alpes, l'hiver bloquait les familles pendant six mois.
Les hommes, les femmes, les enfants et les animaux devaient vivre ensemble entassés dans l'étable : des banc, une table, un poêle à charbon, trois ou quatre lits avec deux ou trois personnes par lit ; entre les lits des chèvres et des moutons ; les veaux au milieu; et tout au fond, les chevaux, les vaches et les boeufs. Les cochons étaient relégués dans le coin le plus éloigné des lits.
Les anciens talents fondés sur l'observation et sur l'imitation de ceux des anciens, les vieilles intuitions apprises par l'expérience laissèrent la place aux nouvelles techniques et aux pratiques rationnelles.
La terre perdit son caractère sacré...
Les machines détruisirent l'harmonie qui unissait 'homme à son univers en rendant inutile les talents qu'il avait durement acquis ainsi que les gestes qui y étaient attachés.
Dans le nouveau monde, le tour de main du paysan n'était pas plus nécessaire que son patois.
Dans les années 1840, l'arrivée du postier, avec sa blouse aux parements rouges et sa bandoulière garnie d'un brillant écu de bronze, fascina toute la famille :
" C'était la première lettre que maman eût jamais reçue ; dans le hameau, avec ses six foyers, il n'arrivait pas deux lettres par an ; cela coûtait douze sous. Le facteur les lisait à haute voix ".
Chaque village avait ces petits talents qui donnaient aux pauvres une place dans la vie de la paroisse et un moyen de subsistance : taupiers, chasseur de serpents, cardeurs de chanvre, "rebilhous" qui, la nuit, criaient les heures et, à minuit, se rendaient au cimetière dire l'heure aux morts, " cendrousos" qui ramassaient les cendres pour la lessive et autres pleureuses professionnelles .
En 1869, un inspecteur d'académie déclarait : " Les gens doivent apprendre de l'éducation toutes les raisons qu'ils ont d'apprécier leur condition".
Un manuel d'instruction civique se proposait d'accomplir cette tâche :
1) La société française est régie par des lois justes, parce qu'elle est une société démocratique.
2) Tous les Français sont égaux en droits ; mais il y a entre nous des inégalités qui viennent de la nature ou de la richesse.
3) Ces inégalités ne peuvent disparaître.
Jusqu'à 1816, on n'exigeait d'un enseignant aucun titre ou preuve de compétence. L'éducation populaire en souffrait, comme sous la férule d'hommes comme le magister de l'école secondaire de Noyers, dont la salle de classe était si mal tenue et si pleine d'araignées " que l'on pouvait difficilement apercevoir le Citoyen Colibeau à travers les toiles d'araignées, particulièrement quand il donnait son cours avec un bonnet de nuit, en robe de chambre et en sabots".
En 1881, peu de salles de classe paraissent manquer de carte de France. Certaines, bien sûr, servaient "seulement d'ornements". Mais elles donnaient toutes l'image de l'hexagone national, et servaient à rappeler que la frontière Est du pays ne devait pas se trouver sur les Vosges, mais sur le Rhin.
Le paysan gardait pour lui, disait le père Gorse, la "lie" de ses produits.