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Critique de Tachan


Tachan
26 septembre 2023
Cet été, j'ai entrepris de sortir de ma bibliothèque les derniers romans et nouvelles d'Edith Wharton qu'il me restait à découvrir. Au vu de ce succès, j'ai été ravie de voir Steven me proposer une petite lecture commune sur le dernier qu'il me restait, et pas des moindres : Les Boucanières son roman inachevé parvenu tardivement à nous.

Oeuvre fort singulière comme le fut Les Sanditon pour Jane Austen, elle fut travaillée et retravaillée par l'autrice mais pas terminée au moment de sa mort en 1937. Ce n'est donc qu'une version inachevée que son exécuteur testamentaire nous a livré en 1938 mais des décennies plus tard, Marion Mainwaring, une spécialiste de son oeuvre la compléta sur les base du scénario laissé par la romancière. Pourquoi une telle aventure éditoriale ? Parce que le roman fut jugé scandaleux à l'époque et qu'on déconseilla à l'autrice de le publier comme en avait l'habitude en feuilleton, résultat, il fut repoussé et elle mourut avant. Heureusement qu'il fut repris par la suite car nous aurions raté son chef d'oeuvre.

Oui, je le dis, tout comme mon co-lecteur Steven, pour nous Les Boucanières est le chef d'oeuvre de l'autrice, son roman le plus abouti, le plus accessible aussi, celui où sa plume se teinte à la fois de malice et de sarcasme, celui où elle ose critiquer les sociétés anglo-américaines où elle a grandi, avec force et morgue. Un régal et enfin une plume bien plus chaleureuse que ce à quoi elle nous avait habitué dans ses drames sensibles mais souvent cruels. Un chef d'oeuvre où nous suivons le temps de 4 livres, les tableaux séduisants de trois familles américaines venues trouver un titre en Angleterre pour aller avec leur fortune, comme si nous avions ces mêmes tableaux de parties de campagnes peints à plusieurs années d'intervalle.

« Nous changeons à chaque instant alors que nos actions, elles, demeurent. »

J‘ai toujours aimé la plume d'Edith Wharton, mais souvent je rencontrais une résistance avec elle. Comme je le disais à Steven, je ne sais pas si c'est du fait de la traduction plus récente ou de la participation de Marion Mainwaring, ou juste l'évolution de la plume d'Edith Wharton alors au crépuscule de sa vie, mais je l'ai trouvé tellement plus fine, plus vive, plus accessible. C'était comme découvrir une autre femme ! J'ai dévoré les pages de ce roman, qui se veut un peu la réponse du berger à la bergère avec son premier succès le Temps de l'innocence (paru en 1920). On y retrouve ce même goût de portraitiste d'une haute société passée qui doit changer.

J'ai mis du temps mais j'ai adoré le portrait de ces jeunes filles, notamment Annabelle, à peine sortie du berceau, qui vont découvrir le grand monde et tenter de répondre aux attentes de leurs parents. J'avais l'impression d'être dans l'un de mes chers Aventures et passions (collection de J'ai lu avec des romances victoriennes) mais sous la plume plus incisive, intime et recherchée d'Edith Wharton. J'ai aimé aussi bien le volet américain que le volet anglais encore plus riche. Les critiques sur la noblesse désargentée, la vision critique des divorcés, la double vision des Anglais par les Américains et vice versa, la question de l'héritage, la place de la femme dans le couple, la vision du mariage… tout cela était ciselé et percutant comme on pouvait s'y attendre de cette autrice qui a passé sa vie à développer ces thèmes chers à son coeur et à ses souvenirs d'enfance.

Mais là où l'autrice propose souvent dans ses autres textes une vision très sombre, assez désespérée, avec peu d'espoir et des personnages vivent un peu malheur sur malheur, déception sur déception, je ne sais pas non plus si c'est dû à l'intervention de Marion Mainwaring, mais nous avons ici une proposition bien plus optimiste qui fait un bien fou. Ici, les critiques ne sont pas juste là pour nous plomber mais pour réellement faire mouche. L'héroïne bien que falote au début se réveille et agit en femme libre qui assume ses sentiments et ose se rebeller contre l'ordre ancien. C'est particulièrement moderne !

« Les petites Glencoe sont demeurées très enfants. Elles ont quitté la nurserie que pour les robes longues et le chignon. »

Le revers de la médaille, c'est que les personnages masculins en prennent pour leur grade ici et très peu brillent au final dans ce récit très féminin. Non pas qu'ils soient mal écrits, au contraire, mais l'autrice ne les épargnent en rien. L'autre revers, c'est qu'après une narration assez lente pour ne pas dire morose, le réveil se fait un peu brutalement, du moins l'ai-je perçu ainsi, mon compagnon de lecture, lui, a aimé être réveillé par cette plume tout à coup plus vive et incisive où l'aristocratie en prend pour son grade. Là où j'ai vu de la maladresse et de la précipitation, il y a vu un réveil salvateur, aboutissement des tensions propagées jusqu'à présent pour prendre toute leur ampleur ici dans ce dénouement où l'autrice met puissamment en exergue les sentiments de l'héroïne se heurtant aux attentes de la société.

Quel saisissant tableau que ce dernier roman croquant la société anglaise du XIXe sous le regard vif et incisif d'Edith Wharton au crépuscule de sa vie. Apothéose de sa carrière, l'oeuvre se révèle la plus riche, la plus mature et la plus aboutie de l'autrice, avec enfin un espoir qui se réalise, une première dans son oeuvre souvent si puissante mais déprimante. J'ai adoré sa critique aiguë des institutions du mariage dans l'aristocratie anglaise, de leur racisme anti-américain aussi et bien sûr de la place de la femme-reproductrice. C'était beau, c'était fort, c'était émouvant. Je suis ravie d'en terminer avec elle sur cette si belle note !

Encore merci à Steven de m'avoir encouragée à sortir si vite cette oeuvre de ma PAL. (Ma dernière critique, sur Ethan Frome, arrivera d'ailleurs dans quelques jours aussi 😉 )
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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