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Marion Mainwaring (Éditeur scientifique)Gabrielle Rolin (Traducteur)
EAN : 9782264028020
431 pages
10-18 (24/08/2005)
4.18/5   116 notes
Résumé :
"Les Boucanières est l'ultime roman inachevé de la grande Wharton. Un délice." - Frédéric Vitoux, Le Nouvel Observateur

"Le mariage, l'amour, l'argent : tels sont les dieux capricieux qui mènent par la main les boucanières, cette bande de ravissantes qui évoque, avant Proust, "une branche chargée de fleurs" (...) Fille d'un divorcé, planteur de café au Brésil, Conchita Closson se poudre à dix-sept ans, fume des cigarettes en faisant des ronds et promè... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (21) Voir plus Ajouter une critique
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Quelle description plus acide de l'aristocratie anglaise avons-nous eue avant Les Boucanières ? Il faudrait chercher peut-être du côté de Vita Sackville-West et de son Toute passion abolie. Et sans doute ne pas oublier les romans de Jane Austen et La Foire aux vanités de William Thackeray. Voici donc cinq jeunes filles américaines issues de familles parvenues, dont les pères ont bâti des fortunes rapides et instables à Wall Street, grâce à d'habiles coups de bourse. Cinq débutantes que les milieux huppés de New York boudent car leur ascension sociale est trop fraîche et leurs géniteurs peu distingués. Les aînées du groupe, Virginia St. George et Liz Elmsworth sont deux beautés, l'une blonde et l'autre brune. Si Jinny se caractérise par son égoïsme et sa vanité, Lizzy se révèle par un sang-froid à toute épreuve et une ambition démesurée. Leurs cadettes, Annabel St. George et Mabel Elmsworth ne possèdent pas leur allure, mais la première est sensible et piquante tandis que la seconde possède un sens pratique redoutable. Quant au cinquième membre du groupe, il s'agit de Conchita Clossom, une rousse à la peau mate et aux yeux ensorcelants dont la joie de vivre et l'appétit de plaisirs vont de pair avec une inaltérable bonne humeur. La gouvernante anglaise de Nan, Miss Testvalley, contient tant bien que mal les manières de ces jeunes Américaines dont la liberté de comportement l'étonne.
le mariage précipité de Conchita avec Lord Richard Marable, un aristocrate anglais désargenté et viveur, fils cadet d'une prestigieuse lignée, l'amène à quitter les États-Unis pour l'Angleterre. Sur les conseils de Miss Testvalley, Mrs. St. George gagne Londres à l'approche de la saison estivale car les farces de Dick Marable ont compromis l'entrée dans le monde de ses filles. Ce que l'on ne pardonne pas dans les riches familles new-yorkaises pourra peut-être passer pour de l'excentricité culturelle dans le milieu aristocratique anglais. Mrs. St. George est bientôt rejointe par Mrs. Elmsworth, Lizzy et Mabel. La chasse aux beaux partis peut alors commencer sur les conseils avisés de Miss Testvalley qui connaît l'aristocratie anglaise mieux que quiconque pour avoir éduqué beaucoup de ses rejetons, mais aussi grâce à l'entregent de Miss March, une Américaine qui est parvenue à s'introduire dans le milieu très fermé de la noblesse. le calamiteux mariage de Conchita sert de cheval de Troie pour pénétrer ce monde ; la beauté, la séduction, l'énergie du petit groupe font merveille dans un milieu sclérosé par l'endogamie. Bientôt, Lord Seadow demande en mariage Jinny (ou plus exactement Lizzy opère un renversement de situation qui aboutit à cette conclusion), la trop jeune Nan épouse le duc de Tintagel et Lizzy se marie avec un député conservateur très ambitieux, tandis que Mabel, de retour aux États-Unis, épouse un vieux milliardaire.
Au point où nous en sommes, nous pourrions considérer ce roman comme un conte de fées, au pire une bluette. Ce serait ignorer l'essentiel. Derrière ces mariages brillants que voyons-nous ? Une aristocratie anglaise qui a besoin de redorer ses blasons et pour qui les dots de ces Américaines fortunées apporteront un répit dans la course aux subsides. Lady Brigthlingsea, la mère de Seadow, voit dans le mariage de son fils deux opportunités : le débarrasser de la liaison scandaleuse qu'il entretient avec Lady Churt et trouver des fonds pour l'entretien ruineux d'Allfriars. La duchesse douairière de Tintagel méprise sa belle-fille, mais ce qui lui importe c'est qu'elle assure la descendance de la lignée, ce que compromet Nan par sa fausse couche et par son refus d'accomplir le devoir conjugal. Quant à Dick Marable, il laisse sa femme traiter avec les créanciers pendant qu'il court les tables de jeu et les jupons. Aux stratégies des mères et des filles américaines répondent les spéculations des mères et des fils anglais. le député Hector Robinson a reconnu en Lizzy une femme capable de servir son ambition politique, mais aussi de l'introduire – par ses relations – dans le milieu aristocratique où il pourra nouer les alliances indispensables à une brillante carrière politique.
Laura Testvalley est la figure révélatrice de l'envers du décor. Payée chichement par les familles aristocratiques dont elle élève la progéniture, elle fait le pari d'émigrer aux États-Unis et de vendre à prix d'or son savoir-faire. Cela marche et elle commence à se dire qu'elle pourrait damer le pion à bien des mères anglaises en introduisant ses « boucanières », ses pirates, ses bandits dans la haute société. Et puis, avec le temps, des femmes comme Jinny peuvent se révéler plus sang bleu que le sang bleu, tenir leur rang avec classe et même obtenir les faveurs du prince de Galles.
Mais ce qui peut paraître un défi pour des filles coriaces comme Conchita, Jinny, Lizzy ou encore Mabel s'avère une catastrophe pour une nature sensible comme Nan. Trop jeune, peu aguerrie aux jeux de la séduction, douée d'une imagination vive et nourrie de romantisme, elle épouse le duc de Tintagel sans mesurer le formatage qui l'attend. À peine sortie de l'adolescence, elle est broyée par le protocole qui régit les existences à Longlands, Tintagel ou Folyat House. Écrasée par les décors imposants dans lesquels elle vit, méprisée par une belle-mère incapable de comprendre l'effroi que peut susciter la lourdeur des obligations, incomprise par un mari faible et cependant autoritaire, elle s'enfonce dans la dépression. Trop jeune et inexpérimentée, elle ne peut manipuler les hommes comme Conchita ou les subjuguer comme Jinny. Elle n'a pas non plus les ressources d'une Lizzy qui sait s'adapter aux circonstances pour faire face aux revers de situation. Celle qui peut comprendre Nan est sa chère Miss Testvalley. Les seuls contradicteurs de l'ordre social sont Annabel et Guy Thwarte, le fils de Lord Hemsley. Ils se rencontrent à Honourslove (prémonitoire), partagent le même goût pour les vieilles pierres, la peinture, la poésie mais, surtout, la même exigence de droiture, d'engagement altruiste (l'une auprès des pauvres et l'autre auprès des travailleurs des mines de son beau-père), ils ressentent une réelle empathie pour leur prochain. Ils sont faits pour se reconnaître et s'aimer, le sentent confusément et se perdent. Il leur faudra éprouver leurs sentiments, Annabel auprès d'Ushant et Guy auprès de Paquita, connaître des désillusions et vivre le sentiment douloureux de l'amour dissimulé pour accepter de se rejoindre. Cela au prix du scandale, de l'opprobre de leur milieu.
Edith Wharton ne cache rien de la condition qui est faite aux femmes à la fin du 19e siècle. Riches, ce sont des proies faciles à attirer. Pauvres, comme Laura Testvalley, elles triment pour subvenir aux besoins de leur famille, subissent les manoeuvres de séducteurs peu scrupuleux, et doivent souvent renoncer au bonheur quand il se présente. Célibataires, elles jouent les faire-valoir et les entremetteuses (Miss March). Divorcées, elles font figure de déclassées scandaleuses (Mrs. Closson, la soeur d'Anthony Grant-Johnston). Mariées, elles se taisent devant les frasques de leur mari (Mrs. St. George, Conchita), doivent se plier à ses exigences (Nan) quand il tient solidement les cordons de la bourse et peut faire appel à la loi pour le respect des obligations du mariage. Les boucanières sont des pirates, mais elles ne font que se tailler leur part du butin dans une bataille impitoyable où les hommes continuent à asseoir leur domination. La jeune fille américaine des années 1870 n'est-elle pas le prototype d'une révolution féminine à venir ?
Les cinq derniers chapitres ont été écrits par Marion Mainwaring à partir des notes laissées par Edith Wharton. Peut-être le style y est-il moins enlevé, mais qu'importe. La traduction de Gabrielle Rolin est un régal et fait justice à la vivacité de l'écriture de l'auteur et à un récit haut en couleur.
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A travers une galerie de personnages essentiellement féminins, Edith Wharton dresse le portrait d'une fin de siècle qui voit s'opposer la jeune Amérique gagnée par une modernité qui s'accélère (installation du téléphone, émancipation des femmes, liberté des moeurs) à la vieille Angleterre, pétrie de traditions immuables mais encore engluée dans ses rituels démodés. Cette fresque sociale traduit la parfaite connaissance de la romancière des différents milieux dans lesquels elle nous immerge, qu'il s'agisse de l'aristocratie anglaise avec ses codes ou de l'élite américaine de Saratoga Springs, non loin de New-York.

L'histoire débute aux Etats-Unis à la fin du 19ème siècle avec cinq jeunes filles en quête d'un mari. Elles peinent à trouver le mari idéal, celui dont la réputation est sans tache et dont la fortune servira les intérêts du père. Les mères délaissées ou trompées par leur mari, veillent au grain, souvent dépassées par l'impertinence et les cachotteries de leurs filles. Pour se faciliter la tâche, elles recourent à une gouvernante, censée inculquer de l'instruction et un peu de plomb dans la tête à ces jeunes écervelées et surtout surveiller leurs bonnes manières. Sur une suggestion de cette gouvernante, qui se révèle être un des personnages les plus intéressants, les familles partent à la conquête de l'Angleterre : la chasse aux maris est ouverte ! Et rapidement, chaque jeune fille va trouver le sien avec plus ou moins de bonheur. En effet, les jeunes hommes tombent sous le charme de ces américaines qui fument et s'amusent sans penser à mal, tandis que leurs mères sont choquées par ces comportement qu'elles jugent contraire aux bonnes moeurs de cette fin de siècle.

A partir de là, le roman s'attache principalement à suivre l'évolution de la plus jeune des américaines, la petite Annabel, aussi sensible que désintéressée. Si son personnage est très intéressant, il fait fortement évoluer l'intrigue vers la romance, ce que j'ai un peu regretté.

La gouvernante est le personnage le plus fascinant : dans l'ombre, telle une marionnettiste toujours animée des meilleures intentions et prête à sacrifier son bonheur personnel, Laura Testavaglia tire les ficelles et intrigue gentiment pour orienter "ses" jeunes filles vers le mari idéal. Son personnage m'a semblé insuffisamment exploité.

J'ai surtout apprécié les différents thèmes abordés, de l'émancipation féminine à la confrontation entre cette liberté de ton chère aux américains et le discours corseté des anglais. Mais outre mes regrets sur l'orientation fortement romantique du dernier tiers et sur le personnage de Laura Testavaglia, j'ai aussi quelques réserves sur la construction du roman qui m'a semblé manquer de fluidité, ce qui m'a gênée en plusieurs occasions lors de ma lecture. Donc, à rebours de nombre d'avis très positifs que j'ai pu lire sur Babelio, je n'ai pas été totalement conquise par les boucanières. Oui, le roman m'a plu mais sans plus.

Challenge Multi-défis 2023
Challenge Plumes féminines 2023
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Dans les années 1880, à Saragota, en pleine saison des courses, quatre jeunes filles de la haute bourgeoisie américaine tentent de percer dans la société new-yorkaise. Malgré la richesse de leurs pères respectifs, les jeunes Virginia et Annabelle St. George, Elizabeth et Mabel Elmsworth ne sont cependant pas dans les invitations des soirées mondaines. Dans l'esprit de leurs mères, la fréquentation de la jeune Conchita Closson, dont la famille demeure entachée d'un soupçon de scandale, n'est pas de nature à améliorer leurs chances. Et pourtant, la douce et aimable Conchita se fiance bientôt à Lord Richard Marable, cadet dissipé d'une famille anglaise, et les jeunes mariés partent vivre en Angleterre. La nouvelle gouvernante des St. George, Miss Laura Testvalley propose alors de passer une saison à Londres, pour donner une nouvelle chance aux jeunes filles. Les Elsmworth les rejoignent bientôt. Accueillies et guidées par la nouvelle Lady Marable, les quatre Américaines vont bousculer le milieu calme et engoncé de la haute société, et y trouver un succès qu'elles n'auraient même pas espéré à New York, couronné par des mariages fastueux. Mais cette réussite sociale exceptionnelle sera-t-elle vraiment source de bonheur pour nos Boucanières ? La liberté de ton de ces Américaines pourra-t-elle s'accommoder des traditions britanniques ?

Ce roman riche et foisonnant reprend le thème très prisé par Henry James de la rencontre entre la nouvelle Amérique et la vieille Europe. Cette opposition est encore renforcée par le choix de personnages féminins pour les Américains et de personnages presque exclusivement masculins pour les Anglais. Edith Wharton ne s'intéresse d'ailleurs que peu aux hommes dans ce récit, excepté les Thwarte, père et fils, confidents et amis respectifs de Miss Testvalley et d'Annabelle. le roman se divise en quatre parties, chacune distante des autres de quelques années. On suit donc l'évolution de ces cinq jeunes filles pendant une période assez longue, qui permet à l'auteur de nous décrire la suite de ces mariages. Alors que le début du roman met plutôt en avant Virginia St. George, l'image de la jeune femme accomplie, au détriment de ses compagnes qui n'ont ni son esprit ni sa beauté, c'est finalement sur sa soeur Annabelle que l'auteur s'attardera, par le biais de sa gouvernante. Miss Laura Testvalley apporte une touche artistique et presque exotique dans ce roman : appartenant à la famille Testaviglia, elle est la cousine du peintre Dante Gabriele Rossetti, et initie Annabelle à la sensibilité préraphaélite. C'est une femme de caractère, profondément droite sans être puritaine, intelligente et cultivée, qui nourrit toute sa famille avec son emploi de gouvernante. Sans en dire plus sur la toute fin du roman, j'ai été très touchée par son dernier choix, profondément altruiste et qui en fait à mes yeux le personnage le plus intéressant du roman. Son influence sera très bénéfique pour Annabelle, que Mme St. George délaissait au profit de son aînée (le choix d'une gouvernante était pour elle une manifestation de rang social plus qu'une nécessité). Plutôt réservée et considérée comme une enfant au début du roman, Annabelle est celle qui, presque par surprise, accède au plus haut rang social et qui a pourtant le caractère le moins approprié pour supporter la rigidité du protocole. Profondément réceptive à la beauté sauvage de la nature anglaise, elle s'épanouit dans les ruines du château du duc de Tintagel (quel beau choix de nom !). On assiste avec beaucoup d'émotion à l'éveil de ses sentiments et à ses luttes intérieures. Et parce qu'elle est totalement inconsciente de l'enjeu de son rang et des devoirs qui lui incombent, c'est d'elle que viendra l'action la plus répréhensible aux yeux de la société.

La rigidité des règles de la vie sociale constituent cette fois encore le ciment de l'histoire. Qu'il s'agisse de faire son entrée dans le monde, d'être courtisée ou bien encore de son comportement avec son mari, les héroïnes sont sans cesse confrontées à ce qu'elles devraient faire ou à la façon dont elles devraient agir, en vertu de règles ancestrales établies par la bonne société. Leur nationalité leur confère un statut d'étrangères qui les rend très hermétiques à ce code de bonne conduite. Cette excuse permet à Edith Wharton de montrer combien ces règles peuvent s'avérer nocives pour l'épanouissement d'un caractère fragile et irréconciliables avec la violence des sentiments à laquelle nous pouvons tous être confrontés. Chez Edith Wharton, il semblerait bien que la complexité de la vie se reflète dans les destins souvent tragiques de ses héroïnes. Pourtant, le destin des Boucanières est bien moins dramatique que celui de Lily Bart dans Chez les heureux du monde. Toutes ne connaîtront pas la déception d'Annabelle et la fin du roman nous offre quelques beaux exemples d'entente conjugale.

Il faut préciser que ce roman était inachevé et qu'il a été terminé, dans l'édition Livre de poche, par Marion Mainwaring en 1993, après avoir classé et analysé toutes les notes laissées par Edith Wharton en préparation de ce roman. L'histoire est donc celle qu'avait imaginée l'auteur, jusqu'au bout. Il serait injuste de ma part de dire que j'ai ressenti à la lecture ce changement de plume. On se rend bien compte qu'il manque aux cent dernières pages cette élégance distante dans l'expression des pensées et des ressorts de nos héroïnes. Néanmoins, cela n'a en rien gâché ma lecture.

Ce roman a été plus qu'un coup de coeur : il entre sans conteste dans la short-list de mes romans préférés. Bruissement de robes, propos frivoles et éclats de rire en cascade ne parviennent pas à masquer la révolte d'Edith Wharton face à un monde corseté dans lequel elle ne s'est jamais retrouvée. La richesse de ce roman, l'exubérance de ses personnages et la palette des émotions qui s'y déploient, sous la plume claire et élégante de l'auteur, en font un moment de lecture incomparable.

Lien : http://passionlectures.wordp..
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Cet été, j'ai entrepris de sortir de ma bibliothèque les derniers romans et nouvelles d'Edith Wharton qu'il me restait à découvrir. Au vu de ce succès, j'ai été ravie de voir Steven me proposer une petite lecture commune sur le dernier qu'il me restait, et pas des moindres : Les Boucanières son roman inachevé parvenu tardivement à nous.

Oeuvre fort singulière comme le fut Les Sanditon pour Jane Austen, elle fut travaillée et retravaillée par l'autrice mais pas terminée au moment de sa mort en 1937. Ce n'est donc qu'une version inachevée que son exécuteur testamentaire nous a livré en 1938 mais des décennies plus tard, Marion Mainwaring, une spécialiste de son oeuvre la compléta sur les base du scénario laissé par la romancière. Pourquoi une telle aventure éditoriale ? Parce que le roman fut jugé scandaleux à l'époque et qu'on déconseilla à l'autrice de le publier comme en avait l'habitude en feuilleton, résultat, il fut repoussé et elle mourut avant. Heureusement qu'il fut repris par la suite car nous aurions raté son chef d'oeuvre.

Oui, je le dis, tout comme mon co-lecteur Steven, pour nous Les Boucanières est le chef d'oeuvre de l'autrice, son roman le plus abouti, le plus accessible aussi, celui où sa plume se teinte à la fois de malice et de sarcasme, celui où elle ose critiquer les sociétés anglo-américaines où elle a grandi, avec force et morgue. Un régal et enfin une plume bien plus chaleureuse que ce à quoi elle nous avait habitué dans ses drames sensibles mais souvent cruels. Un chef d'oeuvre où nous suivons le temps de 4 livres, les tableaux séduisants de trois familles américaines venues trouver un titre en Angleterre pour aller avec leur fortune, comme si nous avions ces mêmes tableaux de parties de campagnes peints à plusieurs années d'intervalle.

« Nous changeons à chaque instant alors que nos actions, elles, demeurent. »

J‘ai toujours aimé la plume d'Edith Wharton, mais souvent je rencontrais une résistance avec elle. Comme je le disais à Steven, je ne sais pas si c'est du fait de la traduction plus récente ou de la participation de Marion Mainwaring, ou juste l'évolution de la plume d'Edith Wharton alors au crépuscule de sa vie, mais je l'ai trouvé tellement plus fine, plus vive, plus accessible. C'était comme découvrir une autre femme ! J'ai dévoré les pages de ce roman, qui se veut un peu la réponse du berger à la bergère avec son premier succès le Temps de l'innocence (paru en 1920). On y retrouve ce même goût de portraitiste d'une haute société passée qui doit changer.

J'ai mis du temps mais j'ai adoré le portrait de ces jeunes filles, notamment Annabelle, à peine sortie du berceau, qui vont découvrir le grand monde et tenter de répondre aux attentes de leurs parents. J'avais l'impression d'être dans l'un de mes chers Aventures et passions (collection de J'ai lu avec des romances victoriennes) mais sous la plume plus incisive, intime et recherchée d'Edith Wharton. J'ai aimé aussi bien le volet américain que le volet anglais encore plus riche. Les critiques sur la noblesse désargentée, la vision critique des divorcés, la double vision des Anglais par les Américains et vice versa, la question de l'héritage, la place de la femme dans le couple, la vision du mariage… tout cela était ciselé et percutant comme on pouvait s'y attendre de cette autrice qui a passé sa vie à développer ces thèmes chers à son coeur et à ses souvenirs d'enfance.

Mais là où l'autrice propose souvent dans ses autres textes une vision très sombre, assez désespérée, avec peu d'espoir et des personnages vivent un peu malheur sur malheur, déception sur déception, je ne sais pas non plus si c'est dû à l'intervention de Marion Mainwaring, mais nous avons ici une proposition bien plus optimiste qui fait un bien fou. Ici, les critiques ne sont pas juste là pour nous plomber mais pour réellement faire mouche. L'héroïne bien que falote au début se réveille et agit en femme libre qui assume ses sentiments et ose se rebeller contre l'ordre ancien. C'est particulièrement moderne !

« Les petites Glencoe sont demeurées très enfants. Elles ont quitté la nurserie que pour les robes longues et le chignon. »

Le revers de la médaille, c'est que les personnages masculins en prennent pour leur grade ici et très peu brillent au final dans ce récit très féminin. Non pas qu'ils soient mal écrits, au contraire, mais l'autrice ne les épargnent en rien. L'autre revers, c'est qu'après une narration assez lente pour ne pas dire morose, le réveil se fait un peu brutalement, du moins l'ai-je perçu ainsi, mon compagnon de lecture, lui, a aimé être réveillé par cette plume tout à coup plus vive et incisive où l'aristocratie en prend pour son grade. Là où j'ai vu de la maladresse et de la précipitation, il y a vu un réveil salvateur, aboutissement des tensions propagées jusqu'à présent pour prendre toute leur ampleur ici dans ce dénouement où l'autrice met puissamment en exergue les sentiments de l'héroïne se heurtant aux attentes de la société.

Quel saisissant tableau que ce dernier roman croquant la société anglaise du XIXe sous le regard vif et incisif d'Edith Wharton au crépuscule de sa vie. Apothéose de sa carrière, l'oeuvre se révèle la plus riche, la plus mature et la plus aboutie de l'autrice, avec enfin un espoir qui se réalise, une première dans son oeuvre souvent si puissante mais déprimante. J'ai adoré sa critique aiguë des institutions du mariage dans l'aristocratie anglaise, de leur racisme anti-américain aussi et bien sûr de la place de la femme-reproductrice. C'était beau, c'était fort, c'était émouvant. Je suis ravie d'en terminer avec elle sur cette si belle note !

Encore merci à Steven de m'avoir encouragée à sortir si vite cette oeuvre de ma PAL. (Ma dernière critique, sur Ethan Frome, arrivera d'ailleurs dans quelques jours aussi 😉 )
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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L'histoire se déroule dans les années 1870 et tourne autour de cinq jeunes riches et ambitieuses Américaines qui, rejetées par la vieille élite new-yorkaise (parce que leurs parents sont de nouveaux riches), s'en vont chercher à Londres la position sociale à laquelle leurs mères et elles-mêmes rêvent.

Il s'agit du tout dernier roman d'Edith Wharton et, bien qu'inachevé, il fut publié tel quel en 1938, un an après la mort de l'auteur. En 1993, une certaine Marion Mainwaring l'a achevé en se basant sur des notes laissées par Edith Wharton. Cette nouvelle version (qui est celle qui nous intéresse ici) comprend quarante-et-un chapitres, soit douze de plus que la version publiée en 1938 (et, pour autant que j'ai tout compris, six de plus que les trente-cinq initialement prévus par Edith Wharton !) En outre, d'après quelques articles trouvés sur Internet, il semblerait que Marion Mainwaring ait également quelque peu retouché le texte existant.

C'est un roman pour le moins curieux et, puisqu'il est resté inachevé à la mort de l'auteur, on ne peut bien évidemment s'empêcher de se demander si les vingt-neuf premiers chapitres correspondent exactement à ce que souhaitait Wharton ou si nous n'avons pas plutôt entre les mains un premier ou deuxième jet que l'auteur aurait significativement modifié si elle avait vécu quelques années de plus. Wharton étant connue pour avoir été un auteur exigeant qui retravaillait en profondeur ses manuscrits avant leur publication, il est permis de penser que les chapitres qu'elle a laissés sur son bureau étaient plus un bon brouillon qu'un produit parfaitement fini.
Les Boucanières se distinguent des autres romans et nouvelles de l'auteur par une fin plus heureuse (est-ce là un choix de Mainwaring ou ce que souhaitait vraiment Wharton ?), des personnages moins fouillés (c'est peut-être le meilleur indice que le texte laissé par Wharton était loin d'être définitif) et un ton souvent plus pétillant. En raison de cette dernière caractéristique, on a d'ailleurs parfois l'impression d'avoir entre les mains le roman d'une Jane Austen qui aurait vécu à la fin du 19ème siècle ou au début du 20ème. Cette légèreté et cette pétulance inédites sont certes rafraîchissantes, mais il est néanmoins surprenant, sinon un peu déroutant, de se retrouver face à une oeuvre d'Edith Wharton qui, malgré son thème très jamesien de la confrontation entre Américains et Européens et bien que l'intrigue gagne en mélancolie et en profondeur au fil des chapitres, évoque à maintes reprises plus Austen qu'Henry James (ce dernier est probablement l'auteur qui, ordinairement, se rapproche le plus d'Edith Wharton.)

Je dois cependant concéder que, malgré la surprise et un vague sentiment de désorientation, j'ai passé un assez bon moment de lecture. Mais peut-être suis-je trop bon public, ou trop indulgent avec les romans plutôt bien écrits dont l'action se situe dans la fascinante Angleterre du 19ème siècle… Quoi qu'il en soit, j'aurais préféré que les éditions Plon rééditent le roman inachevé (avec, en annexe, le synopsis des six derniers chapitres envisagés par Edith Wharton) plutôt que cette version composite dont nous n'avons aucun moyen de savoir jusqu'à quel point elle est conforme aux intentions finales de l'auteur.
J'aurais également préféré que Plon fasse preuve d'un peu plus de retenue dans l'avant-propos et sur la quatrième de couverture : Les Boucanières ne sont ni « la grande oeuvre », ni le roman « le plus riche et le plus sophistiqué de Mrs Wharton », ni encore moins « son chef-d'oeuvre ». Il est dans l'oeuvre de cet écrivain exceptionnel bien d'autres titres indéniablement plus aboutis.
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Cette jeune femme qui, selon toute apparence, était aujourd'hui (depuis deux ans), Annabel Tintagel avait été auparavant Annabel St. George et la personnalité d'Annabel St. George, son visage, sa voix, ses goûts et dégouts, ses souvenirs, ses sautes d'humeur constituaient une petite réalité vacillante qui, bien que proche de la nouvelle Annabel, n'en faisait pas partie, ne se fondait pas, pour former une Annabel centrale, avec la doublure étrangère qui, dans la chambre Corrège de Longlands, face aux jardins privés de la duchesse, aspirait à n'être qu'une personne. A certains moments, la quête de sa véritable identité l'inquiétait ou la décourageait à tel point qu'elle était heureuse d'y échapper pour remplir automatiquement les devoirs de sa nouvelle condition. Mais pendant les intervalles, elle s'acharnait à se cherche et ne se trouvait pas.
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Mrs. St. George qui ne possédait pas beaucoup de bijoux se rendit soudain compte que chacun d'eux marquait de sa pierre un épisode analogue à celui de ce jour, tantôt il s'agissait d'une histoire de femme, tantôt d'un coup en bourse, toujours d'un événement qui réclamait son indulgence. Elle aimait les parures autant que n'importe qui mais en cet instant elle aurait souhaité que toutes les siennes fussent au fond de la mer, car chaque fois elle avait capitulé comme elle savait qu'elle capitulerait cette fois-ci. Et son mari penserait toujours qu'il l'avait en quelque sorte achetée.
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"[...]la plus grande erreur, c'est de croire que nous savons toujours pour quelle raison nous agissons...Sans doute le maximum que nous puissions savoir consiste-t-il dans ce que les vieilles gens appellent "l'expérience". Mais celui ou celle qui l'acquiert n'est plus la personne qui a accompli des actes incompréhensibles. Je suppose que tout le problème vient de ce que nous changeons à chaque instant alors que nos actions, elles, demeurent."
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Peut-on, par exemple, imaginer quelque chose de plus joli ou qui convienne mieux à une dame qu'une jupe d'alpaga noir, drapée un peu comme la tenture d'une fenêtre, révélant une seconde jupe de serge pourpre, le tout surmonté d'une jaquette de popeline noire, à manches larges, garnie de mousseline aux poignets, et d'un petit canotier, comme celui que, sur son portrait , l'impératrice Eugénie portait à la plage de Biarritz?
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La gouvernante (anglaise) avait constaté que les fleurs ne poussaient pas en abondance aux États-Unis, du moins pas en été. En hiver, à New York, elles s'entassaient à la vitrine des fleuristes: fougères plumeuses, lilas mauves, roses géantes rouges ou crème, que les riches s'envoyaient les uns aux autres dans de longues boîtes en carton blanc. Quelles moeurs étranges ! Les dames qui échangeaient en plein hiver ces cadeaux ruineux vivaient tout l'été sans une fleur, ou rien de mieux qu'une touffe de verdure rabougrie devant leur porte, voire un pied ou deux des inévitables hortensias. (page 72)
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