Madame X

-Si douée, X. Si belle. Est-ce que cela t’a plu ?

-Oui.

Ce n’est pas un mensonge. Pas entièrement, en tout cas.

Physiquement, je suis tellement ébranlée que je tremble. Physiquement, des répliques me secouent encore et le moindre contact me fait frissonner. Physiquement, oui, cela m’a plu. Je ne peux pas empêcher que cela me plaise.

Pourtant… il y a un endroit en moi, un puits plus profond qu’aucun autre, où les vérités auxquelles je n’ose même pas penser vivent cachées, enterrées pour toujours. C’est là, tout au fond, là où ces vérités résident, qu’une part de moi rêve… d’absolution, de liberté, de pouvoir faire un geste sans que personne le sache, de prononcer un mot sans la moindre arrière-pensée.

Mais je ne peux pas laisser tout ça remonter à la surface. Je suis passée maître dans le contrôle de soi, après tout. Je peux repousser un orgasme indéfiniment. Je pourrais vivre sans respirer jusqu’à ce que l’on me dise de respirer ou de m’évanouir. Je peux rester assise, immobile, pendant des heures, jusqu’à ce que l’on me dise de bouger. Je sais que je suis capable de toutes ces choses. J’ai appris le contrôle total à la plus dure des écoles.

Et donc à cet instant, c’est un jeu d’enfant pour moi que de blottir mon corps contre ce corps dur, tendu et musclé, feignant l’intimité.

– C’était l’expression de son visage. De prime abord, elle semble vide. Elle se tient de profil, donc on se dit qu’il est difficile de savoir ce qu’elle pense. Mais si l’on regarde attentivement, on distingue quelque chose. Sous la surface, peut-être. Et la courbe de son bras. Il semblait fort. Elle est si délicate et pourtant… ce bras, celui qui touche la table, il est… il a l’air fort. Et je me sentais si faible, si impuissante. Alors de voir une femme à l’allure si délicate avec quelque chose qui ressemblait à de la force ? Cela m’a parlé. Rassurée. Dit que peut-être je pouvais être forte, moi aussi.
– Et tu l’es.
– Parfois.
– Quand c’est nécessaire.

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Comment ai-je pu exister – d’une certaine façon le terme vivre me semble trop fort – aussi longtemps sans poser la moindre question ?

Des pères me paient pour enseigner à leurs fils comment se présenter sous leur meilleur jour. Je ne fais pas de miracle. Je ne peux pas forcer un tigre à se défaire de ses rayures, ce qui veut dire que je ne peux pas changer la nature fondamentale des enfants de mes clients. Mais je peux leur montrer comment la déguiser. Une certaine malhonnêteté, mais pour laquelle je suis extrêmement bien payée.

Un langage maîtrisé donne immédiatement une impression de noblesse, Trois. Une grammaire correcte, une syntaxe concise et claire.

Notre baiser est celui de deux affamés, comme s’il nous avait manqué tout au long de notre vie, comme si l’on avait su au fond de nous que c’était ce qu’il nous fallait sans savoir quel nom ni quelle définition lui donner. Mais voilà, ce baiser est arrivé et nous ne pouvons plus vivre sans une minute de plus. Un baiser de désir absolu.

Et s’il y a dans la beauté de l’art quelque chose qui bouleverse l’âme, il y a également dans un silence profond et essentiel quelque chose qui chamboule le cœur.

Il ne s’agit pas d’une simple absence de sons ou de mots, mais de la communication de quelque chose de plus profond, une sorte de langage de regards qui se croisent, de mains qui s’effleurent, de soupirs que l’on compte, une syntaxe d’œillades sensuelles, et quelque chose d’encore plus profond, quelque chose qui vient des entrailles, quelque chose de partagé mais qu’on ne pourrait pas expliquer, ni résumer, ni raconter simplement avec la pensée ou le langage.

Je l’ai vu et il m’a plu. Je me sentais vide et… transparente. Apathique. Le genre d’indifférence où tu as tellement d’émotions que tu n’en ressens plus aucune. Je ne pouvais pas les exprimer, je ne pouvais rien exprimer. Et ce tableau ? Il exprime tant de choses. La solitude mais également la sérénité. La déformation, la confusion, la passion. La folie, même. Peu importe de quoi est fait ton passé, il y a en toi quelque chose de ce tableau. Bien sûr, à l’époque… je ne savais rien de tout ça. Pas même mon nom. Je savais juste que je pouvais regarder cette Nuit étoilée et que cela m’aiderait à comprendre certaines des choses qui envahissaient mon esprit.

Aujourd’hui, je vois clair, mais tout ce que j’arrive à distinguer ce sont les contours de l’absence, la forme de tout ce qui me manque. Je vois tout ce que je ne sais pas.