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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2014, écrits par Joshua Williamson, dessinés et encrés par Mike Henderson, avec une mise en couleurs réalisée par Adam Guzowski.

Avec l'aide d'une équipe SWAT (Special Weapons And Tactics), il y a 3 ans l'inspecteur de police Eliott Carroll procédait à l'arrestation d'Edward Charles Warren, le meurtrier en série surnommé Nailbiter. Il choisissait ses victimes parmi les gens qui se rongent les ongles, et leur mangeait le doigt jusqu'à l'os, pour les tuer après. Accusé de 45 crimes il avait été jugé non coupable. de nos jours, Eliot Carroll contacte son collègue Nicholas Finch du service de renseignement de l'armée pour le rejoindre dans la ville de Buckaroo dans l'Oregon.

En arrivant à Buckaroo, Finch découvre que Carroll a disparu. Il enquêtait sur la raison pour laquelle plusieurs tueurs en série étaient originaire de cette ville. Il fait connaissance avec l'inspecteur Shannon Crane (responsable de la police), avec Raleigh Woods (propriétaire du magasin souvenirs sur les tueurs en série, et petit-fils de Norman Woods l'un des premiers tueurs en série de Buckaroo), Alice (une jeune femme très curieuse) et Edward Warren, revenu habiter dans sa ville natale.

Peu de temps après avoir lancé la série Ghosted (à commencer par Haunted heist chez Image, dans la branche Skybound, celle de Robert Kirkman), Joshua Williamson lance une deuxième série, toujours chez Image, mais sans la tutelle de Skybound. Dès le premier épisode, le lecteur qui a lu Ghosted voit bien la différence. Cette fois-ci, il s'agit d'un thriller bien sanglant. Dans les phrases promotionnelles en quatrième de couverture, Scott Snyder espère que si Joshua Williamson venait à mourir, il lui lèguerait cette série. Il attire ainsi l'attention du lecteur sur la perspicacité du point de départ : 16 tueurs en série sont nés dans la même ville, Buckaroo dans l'Oregon.

Rapidement le lecteur se rend compte que Joshua Williamson joue avec les conventions du genre thriller, et avec celles du sous-sous-genre tueur en série. Alors qu'il est en cellule, Edward Warren interpelle une jeune femme qui vient lui rendre visite en l'appelant Clarice. Elle fait mine de ne pas comprendre, puis se moque de lui en expliquant qu'elle connaît bien cette référence à le silence des agneaux (1988) de Thomas Harris, et qu'il ne ressemble pas à Anthony Hopkins dans le film du même nom (1991) de Jonathan Demme. Il ajoute une petite touche de dérision, avec un personnage expliquant qu'il ne souhaite pas participer à une enquête de type Scoobidoo. Il prend également un malin plaisir à imaginer des modus operandi pour les tueurs en série, du Book Burner qui brûlait les bibliothèques avec les usagers à l'intérieur (parce qu'il ne savait pas lire), à la Blonde qui coupait les langues et cousait les lèvres de ceux qui la harcelaient dans la rue (après les avoir provoqués, avant de les tuer). le lecteur comprend vite que le scénariste maîtrise les conventions du genre, et que la dimension horrifique est bien présente.

Le scénariste a conçu son récit sur un fil directeur très simple : un enquêteur de l'armée (Nicholas Finch, de la National Security Agency) est à la recherche d'un collègue du FBI dans une petite ville. Dès la première séquence, il indique que cette histoire contient son lot d'horreurs. Il n'est pas si facile que ça de mettre en scène une horreur visuelle dans les comics, parce que le dessinateur peut vite tomber dans les monstres pas beaux génériques, et parce que c'est le lecteur qui gère le rythme de lecture ce qui rend difficile de le surprendre par une image choc. Joshua Williamson joue avec son lecteur de manière adroite pour au contraire tirer parti de ces contraintes.

Cela commence avec la scène d'arrestation d'Edward Warren où il est en train d'attaquer un petit doigt avec les dents, dans un dessin en double page. le niveau de détails n'est pas photoréaliste. le lecteur ne voit pas la chair déchirée. Les tâches de sang sont trop étalées pour être plausibles. Mais l'horreur de l'occupation de Warren apparaît pleinement et reste dans l'esprit du lecteur. Ce dernier est alors sur ses gardes, mais la scène change de suite pour montrer Finch envisageant de se suicider, son pistolet sur la tempe, dans sa chambre. Il n'y a pas d'explication très peu de mots, juste un fait montré de manière manifeste. Les auteurs ont réussi à éveiller la curiosité du lecteur et à lui faire comprendre qu'il lui appartient d'établir les éventuels liens de cause à effet. Aussi quand Finch se fait piquer par une abeille dans le coup à peine arrivé à Buckaroo, le lecteur se demande ce qu'il doit faire de cette information.

Les auteurs continuent de maintenir le lecteur déstabilisé entre l'anticipation et l'attente. Alors que Finch est le passager dans la voiture de Shannon Crane, il aperçoit une silhouette cagoulée dans les bois. La scène se déroule dans une page comprenant 5 cases de la largeur de la page, sagement disposées les unes au-dessus des autres. La première, la troisième et la cinquième montrent le visage de Finch ; les deuxième et quatrième montrent ce qu'il aperçoit. le lecteur a donc tout loisir de revenir sur la deuxième case où se trouve la silhouette à côté d'un arbre. Par contre, il ne peut pas savoir ce qu'en pense Finch, s'il croit l'avoir imaginée ou s'il s'est déjà fait une idée sur l'individu qui joue à ce petit jeu. Il se demande lui-même s'il doit prendre le dessin comme une information solide, ou s'il doit l'interpréter comme une invention de l'esprit de Finch (et il a tout loisir de regarder le dessin autant de fois qu'il veut, aussi longtemps qu'il veut).

Ainsi déstabilisé, le lecteur doute du sens de ce que montrent les images, et apprécie la dimension ludique de la lecture. Lorsque Warren et Crane sonnent à la porte d'Edward Warren, celui-ci leur ouvre la porte alors qu'il porte un tablier tâché de sang. Bien sûr, ce ne peut pas être la preuve trop évidente du fait qu'il a bien tué Eliot Carroll. Mais d'un autre côté, comme les auteurs le mettent tellement en évidence, c'est peut-être une fausse preuve pour détourner l'attention du fait que c'est bien lui' Au petit jeu du "Je sais que tu sais que je sais que tu sais", le lecteur finit par remettre en cause tout ce qu'il sait sur les conventions.

Mike Henderson dessine de manière réaliste, avec un petit degré de simplification qui facilite la lecture de ses planches. Même si le lecteur peut observer une proportion significative de cases avec des têtes en train de parler, cela ne dérive pas jusqu'à une monotonie visuelle, car le dessinateur prend soin de souligner le mouvement corporel qui accompagne les paroles, les expressions restent de type naturaliste. En outre Adam Guzowski réalise une mise en couleurs qui habille discrètement les dessins, sans les supplanter. Il établit une couleur dominante par séquence pour développer une ambiance. Il joue avec restreinte sur les variations de nuance pour ajouter un tout petit de volume.

Mis à part cet usage un peu fréquent de la tête en train de parler, le lecteur apprécie la manière dont ce dessinateur sait s'investir pour établir un environnement : la façade de très mauvais goût de la boutique des tueurs en série, la cuisine d'Edward Warren, les abords de l'église, le cimetière spacieux. Il tique un peu devant les dimensions de la pièce qui sert à Morty (Garth Digging, le médecin légiste). Henderson donne une apparence spécifique à chaque personnage, avec des morphologies normales (pas de musculature ou de poitrine hypertrophiée) qui les rend facile à reconnaître, sans en faire des monstres de foire. Les tenues vestimentaires sont variées et cohérentes avec la personnalité de chacun (même s'il est inattendu que Nicholas Finch porte des chemises roses).

Mike Henderson a dû faire des choix quant au mode de représentation des images horrifiques. le scénario ne repose pas exclusivement sur ces moments choc. Ce dessinateur a un sens très sûr pour concevoir un découpage de planche qui fera monter la tension, soit en utilisant des plans habituels dans ce genre de récit, s'appuyant ainsi sur une convention visuelle dont le lecteur a bien conscience qu'elle ne signifie peut-être pas la même chose que d'habitude (mais peut-être que si). Pour les images choc, il a donc choisi de ne pas donner dans le photoréalisme, préférant une forme simplifiée, des tâches de sang un peu simplifiées, sans rendre compte de sa texture visqueuse, sans représenter les croûtes de sang séché. de même quand il dessine les lèvres cousues avec un fil épais, il ne s'attarde pas sur les plaies, les orifices, etc. Mike Henderson insiste plus sur l'impression que sur le gore voyeuriste, et ça fonctionne très bien.

À la fin de ce premier tome, le lecteur sait qu'il est accro. Il a passé plusieurs dizaines de minutes à découvrir quelques habitants de Buckaroo, à prendre connaissance des exactions de plusieurs tueurs en série, à essayer d'assembler des pièces de puzzle très intrigantes. Les auteurs jouent avec ses attentes et avec sa capacité d'anticipation sur les conventions du genre, avec un savoir-faire attestant de leur maîtrise du genre.
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