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Critique de Zippo


Du Capitole à la Roche Tarpéenne, cet adage s'applique parfaitement à Corinne Luchaire qui, de 1937 à 1950, connut la gloire sous les feux des projecteurs puis l'infâmie et la mort due à la tuberculose à 28 ans.

Caroll Wrona nous relate cette brève existence avec grand talent. Cette biographie est très détaillée, tant au niveau de son personnage que du contexte historique.
Corinne Luchaire, lumineuse et inconséquente, est âgée de 19 ans en juin 1940 au début de l'Occupation. Elle est à la fois attachante et exaspérante pour son manque de prise en compte des réalités de l'Occupation.
Mariée avec un escroc, très courtisée, notamment par Charles Trenet, elle eût une enfance et une jeunesse privilégiée.

Fille de Jean Luchaire, patron de la presse sous l'Occupation. Brillant, humaniste, homme de gauche avant guerre...mais avide de plaisirs, ce fils et petit-fils de célèbres historiens de la fin du XIXème et du début du XXème siècles se fourvoya tragiquement...au nom de la paix. Un puissant courant pacifiste se manifesta en France, à la fin des années trente, ayant pour logique "Plutôt nazi que mort" Il sera fusillé en 1946.
Sa fille Corinne, qui le vénérait, hérita de son goût pour la fête.
Ne dénonçant personne, aidant des Juifs à éviter la déportation, notamment la future actrice Simone Signoret qu'il protégea.
Il faut insister sur ce point. Contrairement à Brasillach, Céline et Rebatet, aucune haine, aucune manifestation d'antisémitisme...dans une France occupée où pleuvaient les dénonciations et les écrits infâmants par leur virulence raciste.
Pour preuve, Jean Luchaire était détesté par le trio infernal des intellectuels collabos : Brasillach, Céline et Rebatet. Rebatet qui allait jusqu'à le qualifier "d'enjuivé".

Oui, Corinne Luchaire a bien mangé, bien vécu sous l'Occupation de 19 à 23 ans dans un pays affamé, transi de froid et violenté par la barbarie nazie...Oui, elle a suivi son père dans la pitoyable fuite des collabos à Sigmaringen à l'été 1944...Oui, son comportement est moralement infâme.
Mais n'y a t il pas différents degrés dans l'abjection ?
Céline dans "Bagatelles pour un massacre", Rebatet dans "Les décombres" 'affichent une haine raciste sans limite et Brasillach applaudissant les meurtres de masse nazis ont atteint des sommets d'ignominie.
Si Brasillach est fusillé en 1945, Rebatet poursuivit sa carrière d'homme de lettres et Céline bénéficie, à notre époque, d'une bienveillance assez surprenante dans les milieux intellectuels...

Même ignominie pour les industriels français qui se sont gavés en travaillant pour l'occupant, pour les notaires français qui ont avalisé les spoliations de biens des déportés (et qui ont pu continuer à exercer pendant des décennies après guerre), pour les sociétés françaises spécialisées dans le transport d'oeuvres d'art qui ont copieusement aidé Hitler, Goering er compagnie dans le pillages des trésors artistiques des musées et collections particulières françaises...

Sans parler des politiciens : Georges Albertini, sous l'Occupation adjoint de Marcel Déat à la direction du Rassemblement National Populaire et qui fut, après-guerre une éminence grise de différents gouvernements jusqu'à celui de Georges Pompidou et des membres du personnel politique de Vichy recyclés après guerre...
Impossible de ne pas évoquer René Bousquet, le "talentueux" et serviable organisateur de la Rafle du Vel d'Hiv qui conduisit des milliers d'hommes, femmes et enfants à la mort. Il vécut paisiblement des décennies après 1945 en occupant un poste important à la Banque d'Indochine. Mais, il fut abattu en 1993 (finalement il y a peut-être une justice parfois...). Notons à son sujet qu'il fut un ami très proche de François Mitterrand avant guerre...comme après guerre.
Souvenons nous que dans les tribunaux de l'Epuration siégeaient dans une grande proportion des magistrats ayant prêté serment à Pétain...

Face à ce catalogue d'ignominies, fallait il vraiment traiter l'inconséquence d'une jeune femme perdue par sa légèreté d'esprit comme un crime ? Condamnée à dix ans d'indignité nationale, elle fut ostracisée. On alla même jusqu'à effacer son nom du générique des films auxquels elle participa...

L'auteure fait précisément et honnêtement le parallèle entre la vie facile des Luchaire sous l'Occupation et ce que vécut la population, et ce sans concession. Mais elle met dans son livre toute sa sensibilité et ne s'égare pas dans des jugements à l'emporte pièce.

Un grand et beau travail de mise en lumière d'un personnage, certes léger, mais jeté dans une période horrible.


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