Ma femme est morte pendant la famine de 1960, comme des millions d’autres gens cette année-là. N’ayant aucune possibilité de lui offrir une tombe avec un bon feng shui, j’ai creusé un trou dans un endroit choisi au hasard, et je l’ai enterrée. Comme vous vous en doutez, elle est née et morte pauvre. Avec son mauvais karma, elle risque de gâcher le bon feng shui de mes descendants si on m’inhume à ses côtés. Mais si je suis enseveli tout seul, yin et yang ne seront pas en harmonie. C’est pour cette raison que je dois rejoindre Ruan Hongyu dans la mort.
Confucius avait raison quand il disait : "Tous les métiers sont vils. Seule l'instruction est noble"
P.60
Résultat, beaucoup de filles se procuraient des remèdes en cachette et les toilettes publiques faisaient office de clinique d'avortement, de décharge pour fœtus morts. Certaines se trompaient de médicament et en mourraient. La vie ne vaut pas cher en Chine.
P.59
"La belle affaire s'il m'avait tuée ? Ce n'est pas tes oignons. Tu n'es qu'un gardien de chiottes qui chlinguent. Ça fait trois ans qu'on est ensemble. Il a essayé de me tuer au moins dix fois, j'en suis pas morte.[...]"
P.55
D’une société communiste dogmatique, nous évoluons vers une société obsédée par le commerce. Les gens ne pensent qu’à gagner de l’argent. Les souffrances de ma génération n’intéressent personne. Cette indifférence ne m’atteint pas et n’influence aucunement ma musique. Mes aspirations artistiques sont tout autres. Je compose une série d’élégies dédiées à la nation entière, aux millions de victimes du maoïsme, mortes pour rien. Si la musique de Chostakovitch fut un témoignage des horreurs de l’époque stalinienne, la mienne sera… je n’ai pas envie de terminer ma phrase. Je pense que ma musique se révélera utile le Jour du Jugement dernier parce qu’elle est éternelle.
Et, comme on dit, on peut se passer d'argent, mais la famille, les amis et la santé sont indispensables.
[P.218]
De nombreux droitistes en ont soufferts ou en sont morts (de la famine). Mais les médecins et les infirmières de l’hôpital rural où je travaillais avaient droit à des rations alimentaires un peu plus importantes que les autres. Et Guan Dong ne cessait de harceler les fonctionnaires pour obtenir davantage de nourriture. On ne nous donnait pas de viande ; notre seule source de protéine était le placenta que je rapportais de l’hôpital. Les gens du coin n’y touchaient pas, par superstition. Nous avons eu de la chance de survivre.
Mon frère, Zhou Shugui, était le mouton noir de la famille. Il est mort depuis longtemps, mais je ne lui ai toujours pas pardonné. Un jour on réglera nos comptes, même si pour cela je dois aller le rejoindre en enfer. Bref, après avoir reçu sa part d’héritage, ce vaurien s’est mis à fréquenter la ville deux fois par mois, pour aller festoyer dans les bons restaurants, voir les prostituées et, pire encore, fumer de l’opium. Un jeune homme comme vous ne sait probablement pas les dégâts que cause la dépendance à l’opium. Une existence fichue, de l’argent jeté par les fenêtres : voilà ce que fut la vie de mon frère. En quelques années, il a vendu ses terres, puis sa maison. Et vous savez le pire ? Il a été jusqu’à mettre son épouse en gage. Quand elle l’a appris, elle a voulu se noyer dans l’étang voisin, mais ses proches l’en ont empêchée. Mon frère n’a pas changé pour autant. En fin de compte, me belle-sœur est allée demander au chef du clan des Zhou l’autorisation de divorcer.
Le chef du clan a ordonné à un garde de sortir de force mon frère de sa maison pour l’attacher au tronc d’un arbre, au centre du village. Mon frère a passé une semaine sous une pluie battante ou sous un soleil de plomb. C’est comme ça qu’on désintoxiquait les gens à l’époque.
Vous avez sacrément raison. Ma musique est dépourvue de tendresse. Elle est un grand lac noir, plein de boue, de larmes, de sang, de gémissements et de hurlements dévalant des rivières environnantes. C’est pour cela qu’elle est sombre, dense et profonde. Certains artistes mièvres prétendent que l’amour est tout. Connerie. Quand on conteste votre droit de vivre, où se trouve l’amour ? Le 4 juin 1989, les soldats ont ouvert le feu sur les étudiants et les habitants de Pékin ; mille cris d’amour n’ont pas été capables d’arrêter une seule balle.