AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HundredDreams


Akira Yoshimura est un de mes auteurs japonais préférés. Je l'avais découvert dans « le convoi de l'eau », puis mon penchant s'est confirmé avec le superbe « Naufrages ».
Il fait parti de ces auteurs qui nous surprennent par leur façon si particulière et déconcertante de nous emmener dans leur monde.

« Voyage vers les étoiles » pourrait être une merveilleuse destination de voyage.
Le ciel étoilé pourrait être une magnifique invitation au rêve et à l'évasion, ressemblant à un voyage, à la fois surréaliste et apaisant.

« Il se rappela que dans son enfance sa grand-mère lui racontait que les morts montaient au ciel et se transformaient en constellations. Elle disait que les étoiles dispersées sur la voûte céleste étaient toutes des incarnations de personnes disparues et que leur lumière s'amplifiait à l'infini en suivant l'augmentation du nombre de morts. Elle en voulait pour preuve que si l'on fixait le noir profond entre les astres on se rendait compte que des lumières en jaillissaient continuellement, venant saturer le ciel d'étoiles fourmillantes. »

Mais ce que nous propose l'auteur dans ce petit recueil composé de deux nouvelles est un tout autre voyage : terrifiant, dérangeant, déroutant, il nous emmène, sans possibilité de retour, dans le royaume des morts.

Par la sensibilité du thème, ce recueil de nouvelles d'Akira Yoshimura n'est pas le plus facile à lire. Les deux récits sont sombres, pesants, mais sans jamais tomber dans une ambiance glauque et malsaine.

*
Dans la première nouvelle, intitulée ‘Un spécimen transparent », un homme est chargé de prélever des échantillons osseux sur des cadavres en décomposition.

« Les os de ce cadavre, dès que les échantillons frais auraient été prélevés, seraient plongés dans l'alcool puis livrés aux étudiants pour qu'ils puissent s'entraîner au maniement du scalpel et seraient bientôt incinérés comme de vulgaires déchets. »

Son rêve : préserver les corps au-delà de la mort en rendant les os humains transparents comme du cristal, des spécimens qui ne jauniraient pas avec le temps !

« Même les corps en décomposition gardaient un certain nombre de jours après la mort des os frais d'un blanc étincelant au milieu des chairs comme des perles luisant au creux d'un coquillage. »

Son rêve tourne à l'obsession.

« Les os du bassin transparents comme des plaques de mica blanc, ceux des doigts étincelants comme des stalactites… Il allait laisser au monde le squelette … dans un état magnifique pour l'éternité. »

Il est impossible d'avoir la moindre sympathie pour cet homme froid, égocentrique, calculateur et antisocial.
Ses projets jettent un froid sibérien sur le récit.
L'impensable effleure notre esprit et se change en consternation.

J'ai été fascinée par l'écriture sobre et sans voyeurisme d'Akira Yoshimura.
Le style est distant, impassible, et pourtant très poétique et cette distance est tout juste sublime, à la fois très lointaine et assez proche pour nous faire ressentir les émotions de cet homme.
L'ambivalence des sentiments, entre fascination et dégoût, résonne tout au long du récit.

*
La deuxième nouvelle éponyme, « Voyage vers les étoiles », montre le désarroi de jeunes gens qui ont perdu le goût de vivre et décident d'entreprendre ensemble un long voyage vers les étoiles.
Un voyage onirique.
Quelle étrange atmosphère !

J'ai vécu ma lecture avec une sensation de malaise et un sentiment d'incompréhension.

« … cette promenade dans la mer d'étoiles débordant de lumière éclatante le mettait en joie. »

L'écriture de l'auteur se fait impersonnelle, grave et cette distance est affreusement bouleversante. Akira Yoshimura exprime la psychologie des personnages avec beaucoup de maîtrise, rendant la lecture émouvante et douloureuse. On découvre à travers Keichi, la complexité et la fragilité de leurs émotions et de leurs pensées intimes.

« Keichi s'était également rendu compte que tout ce qu'il percevait désormais prenait un nouvel aspect. Il avait conscience de ce que son entourage aux teintes passées en était revivifié, plein de couleurs et de lumière comme du verre coloré. »

J'ai vécu cette nouvelle avec un sentiment d'incrédulité et d'incompréhension.
Sentiments de tristesse et de révolte.
La fin, magistrale !
Un choc.
J'en suis restée totalement abasourdie.

« … de pâles étoiles se détachaient vaguement çà et là, dont la lumière augmentait progressivement, et bientôt les ténèbres se remplirent de constellations brillant d'une lumière froide. »

*
Ces deux nouvelles se rejoignent par leurs thématiques : la fragilité de la vie, la solitude et surtout la mort. Mais les deux nouvelles se différencient par l'angle de vue choisi par l'auteur.
Dans la première nouvelle, l'auteur aborde le thème de l'obsession, alors que dans la seconde, j'y vois plutôt une critique de la société japonaise, de l'isolement et du désoeuvrement des jeunes.

« Voyage vers les étoiles » est un livre troublant qui me marquera par la capacité de l'auteur à exprimer la force et l'intériorisation des émotions humaines.
« Voyage vers les étoiles » est un livre impressionnant par la maîtrise de l'écriture, d'une rare beauté.
Un livre prenant qui laisse des traces.
Un auteur talentueux. J'adore !
*
Commenter  J’apprécie          3618



Ont apprécié cette critique (34)voir plus




{* *}