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Critique de ValentinMo


Lors de sa parution en 1991, « Dirty week-end » avait fait scandale. Lu comme un appel à l'autodéfense et à la justice expéditive, il avait eu droit à une campagne médiatique réclamant son interdiction à la Chambre des Lords, mais aussi attaqué dans la presse, y compris par Salman Rushdie. Son adaptation cinématographique en 1993 par Michael Winner, réalisateur de la série de films « Un justicier dans la ville », n'avait pas calmé les critiques : le roman d'Helen Zahavi serait une oeuvre réactionnaire et amorale. Ça n'est pourtant pas le cas. « Dirty week-end » est certes un livre provocateur, mais il apparaît aujourd'hui surtout comme un récit avant-garde, une dénonciation violente de rapports hommes-femmes dans lesquels les premiers exercent leur domination sur les secondes. Annonciateur du mouvement actuel de libération des femmes, il avait été réédité en 2019 aux éditions Libretto, au lendemain du mouvement "#MeToo".

Bella est l'archétype de la femme éteinte, spectatrice de sa propre vie, qu'on remarque à peine. Malgré tous ses efforts pour prendre le moins de place possible au monde, pour se fondre dans la masse et se terrer au sous-sol d'un immeuble sordide dans son appartement de Brighton, elle ne cesse d'être harcelée, agressée, manipulée ou encore terrifiée par le peu d'hommes qui croisent son chemin. En toute impunité, son voisin peut la harceler, l'épier de sa fenêtre, l'appeler pour la faire trembler en lui détaillant les abominables sévices qu'il souhaiterait lui infliger ; Stan l'armurier peut lui faire subir son verbiage raciste empreint de jalousie virile ; Norman lui imposer un assaut sexuel honteux, et tant d'autres encore… Puis un jour, elle décide soudainement de répondre aux agressions quotidiennes et de rendre les coups.

La prise de conscience ce vendredi matin, veille de week-end, va être brutale !

Ça commence avec l'histoire ordinaire d'une femme qui ne revendique que la plus banale tranquillité, mais ne peut l'obtenir à cause de sa seule condition féminine. Puis la pression monte au fil des pages jusqu'à ce que l'héroïne décide un jour de mettre en action sa répulsion. Elle ne veut plus être une victime et cela va s'exprimer par une violence dont les lecteurs doivent être avertis. Les premières pages sont sages, mais quand se profile la figure d'un harceleur, la lecture s'emballe : les portraits de mâles prédateurs sont brossés avec une parfaite causticité, pour ensuite être dézingués, écrabouillés, zigouillés.

Impassible serial killeuse de harceleurs sexuels, elle va alors incarner une espèce de justicière libérée de ses entraves façon Kill Bill. On ne peut s'empêcher d'y voir le pendant féminin de Patrick Bateman, imaginé par Bret Easton Ellis dans « American Psycho » publié la même année (1991).

Le narrateur, au fil du récit, commente çà et là les scènes qu'il déploie, l'attitude de son héroïne, et puis il apostrophe le lecteur : « La prochaine fois que vous assistez à cette scène, pensez à Bella ». le ton est si distancié que c'en est tantôt drôle, tantôt malaisant… En réalité, le style est juste so british, inscrivant indubitablement « Dirty week-end » dans la vaine des nineties britanniques qui engendreront quelque temps plus tard un certain « Trainspotting » de Danny Boyle. Sans oublier le côté tarantinesque du récit, « Dirty Week-End » raconte surtout l'accession à la liberté d'exister pour les femmes face aux hommes… de leurs propres mains. Un féminisme sous ses formes les plus primaires : la lutte des sexes et l'égalité des droits dans l'usage de la violence pour se défendre.

Il serait pourtant réducteur d'en faire une lecture littérale. Il ne s'agit pas d'un guide d'auto-défense à l'usage des opprimées, ni même d'une apologie de la violence gratuite. le roman, loin de se réclamer d'une veine réaliste, convoque plutôt l'esthétique de l'avertissement : certes Bella est un personnage de papier, mais attention… en chaque femme sommeille une Bella qui peut surgir !

En résumé, un pamphlet gore et féministe dépourvu de grandes qualités littéraires mais qui s'apprécie façon « plaisir coupable ». Sans vouloir souscrire à la loi du talion, ce récit donne à voir ce que c'est que ladite « condition féminine » – concrètement : être objet de harcèlement permanent – et suggère une manière immorale d'en sortir… Sous forme de « disclaimer » déguisé, le narrateur précise à plusieurs reprises que Bella voulait surtout qu'on la laisse tranquille et que, malgré sa patience à toute épreuve, cela n'a pas été possible. Il aura fallu un week-end sanglant, deux jours de violence incomparable, pour que son point de vue soit enfin pris en compte. Cette lecture n'apprendra probablement pas grand-chose aux femmes, par contre à nous autres, hommes, elle semble plus que jamais utile.
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