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Critique de Nastasia-B


Israël Zangwill nous transporte à la toute fin du XVIIIème siècle à Londres. Pas n'importe où dans Londres, dans le quartier de la grande Synagogue. Vous aurez compris qu'il ne sera question dans ce roman que de la communauté juive, elle, et rien qu'elle. Cependant, cette communauté juive londonienne, était loin d'être monolithique.

Elle se composait à l'époque d'une majorité de Sépharades, arrivés et établis de longue date en Angleterre (si mes informations sont exactes, depuis Cromwell), et d'ashkénazes, numériquement moins nombreux et fraîchement débarqués du continent, mais dont les effectifs croissaient rapidement en fonction des politiques antisémites pratiquées ici ou là en Europe de l'est qui amenaient régulièrement de nouveaux contingents de réfugiés (déjà à l'époque !).

Les Sépharades étaient principalement issus de la Péninsule ibérique et avaient fui, en son temps, l'Inquisition. Ce que nous dépeint Israël Zangwill, et ce qui est assez difficile à se représenter lorsqu'on n'appartient pas à ladite communauté, c'est, à l'époque (je ne sais pas si ce sentiment persiste aujourd'hui) l'idée répandue parmi les Sépharades que les ashkénazes étaient des Juifs de seconde zone, voire, des sous-Juifs.

Ainsi, selon l'auteur, les Sépharades, (en raison probablement de leur établissement plus ancien et donc de la meilleure situation dont ils jouissaient), avaient le sentiment d'appartenir à une sorte de « noblesse » de sang ou d'origine tandis que les ashkénazes, fraîchement arrivés d'Europe de l'est avec des accents impossibles et, le plus souvent, sans le sou, étaient ravalés, au sein de leur propre communauté religieuse, au rang de prolos peu fréquentables.

Aussi comprendrez-vous peut-être mieux que quand l'opulent financier Joseph Grobstock, (un Juif ashkénaze, donc, pour ceux qui ne sont pas familiers des patronymes juifs d'Europe de l'est) s'amuse à distribuer des oboles aux mendiants, le hautement sépharade Manasseh Bueno Barzillaï Azevedo da Costa, du haut de son mépris pour les ashkénazes prend la chose plutôt mal.

Or, ce Manasseh da Costa n'est pas n'importe qui. C'est un Schnorrer. Qu'est-ce qu'un Schnorrer, me direz-vous ? C'est le terme utilisé par la communauté pour désigner ceux qui refusent de travailler (activité indigne pour un véritable partisan de Dieu) et qui ne vivent que de leur connaissance de la Torah et du Talmud auprès des Juifs qui fréquentent la synagogue et qui leur permettent de vivre via la charité qu'ils leur octroient.

Mais, même parmi les Schnorrers, Manasseh da Costa n'est pas n'importe qui. C'est LE Schnorrer, le ROI des Schnorrers. Pas un ne lui arrive à la cheville en matière de sophisme et c'est un redoutable adversaire pour quiconque déciderait de ne lui rien laisser. Il a l'art de tirer sur toutes les ficelles de la sensibilité, de l'empathie, du qu'en-dira-t-on et d'autres procédés rhétoriques pour donner mauvaise conscience à son interlocuteur et l'obliger à casquer quoi qu'il arrive.

Un front, un toupet hors du commun, une gouaille de tribun inimitable, un talent d'avocat qui ferait fureur au barreau et une volonté de ne jamais lâcher une proie avant qu'elle n'ait versé jusqu'à son dernier shilling. Bref, c'est pétillant, pétulant, postillonnant, c'est roublard, c'est picaresque, c'est parfois drôle mais… ça ne m'a pas plu plus que ça.

J'avais entendu dire que c'était tordant de bout en bout… ouais, bof. Hormis quelques passages vraiment amusants, on ne peut pas non plus dire que je me sois fait des crampes à rire. On m'avait vendu cela pour la perle de « l'humour juif » (et de « l'humour anglais » combiné). Ouais, bof, si c'est ça l'humour juif et l'humour anglais, ça ne vaut pas un vulgaire humour bâtard bien senti. (*voir le Post Scriptum plus bas)

Il est vrai qu'il y a sans doute dans ce Manasseh da Costa, quelque chose du Mangeclous d'Albert Cohen. Cependant, je trouve Mangeclous franchement plus drôle. Mais je m'aperçois que par cette digression je m'égare un peu du synopsis du livre. Ce fameux Schnorrer, donc, est père d'une très belle jeune fille à marier.

De sorte que nombreux sont ceux autour de la synagogue qui ont déjà essayé de soudoyer da Costa pour obtenir sa fille en mariage. Mais voilà : le roi des Schorrers ne saurait laisser sa fille à n'importe qui. Seul un Schnorrer, et un Schnorrer de grande classe, peut trouver grâce à ses yeux schnorresques.

Et c'est là qu'intervient un certain Yankélé, alias Yaakov ben Yitzhok. Mais le petit est ashkénaze, donc il commence mal dans la vie. Il a un accent de tous les diables, il n'est pas spécialement bâti comme une force de la nature mais il semble présenter quelques dispositions pour le « schnorrage intensif ».

Je vous laisse savourer les situations cocasses et la mise à l'épreuve qu'organisera da Costa pour vérifier si, oui ou non, Yankélé est un Schnorrer suffisamment fréquentable pour sa fille. D'après moi, un livre très communautaire (trop communautaire) qui soulève quelques questions intéressantes sur l'identité juive et sur la place qui leur fut faire en Angleterre dans les siècles passés. Il se laisse lire sans déplaisir mais sans non plus un enthousiasme débordant.

Ceci étant, ce n'est là qu'un Schnorrer d'avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.

P. S. : Je me questionne toujours beaucoup sur ces appellations toutes plus bidons les unes que les autres et qui consistent à presque faire breveter telle ou telle forme d'humour. L'humour est l'humour, point à la ligne. L'humour juif aurait quelque chose de spécial ? L'humour anglais aussi ? Mais alors, Israël Zangwill, en sa qualité de Juif anglais fait-il de l'humour juif ou de l'humour anglais ? Épineuse question, isn't it ?

Sachant que Zangwill est ashkénaze, fait-il de l'humour juif ashkénaze ? Car j'imagine qu'il doit bien se trouver deux ou trois exégètes pour nous expliquer en quoi, par essence, l'humour ashkénaze est radicalement différent de l'humour sépharade. de plus, Zangwill est issu de la communauté ashkénaze russe qui pratique un humour qu'on ne saurait confondre avec l'humour ashkénaze allemand. Bref, vous voyez bien que ce sont des âneries tout ça.

Essayez donc de me définir avec des critères précis l'humour juif ou l'humour anglais et là, on va rire, car vous n'y parviendrez jamais. L'humour est quelque chose de beaucoup trop volatil, de beaucoup trop subtil pour se laisser enfermer dans une quelconque nation ou une quelconque communauté. L'humour juif, est-ce la forme d'humour destinée à rire des excès de la communauté juive et pratiquée par les Juifs eux-mêmes ? Alors qu'a-t-il de spécial par rapport à n'importe quel humour régional ? N'est-ce pas la forme d'humour pratiquée par Mohamed Fellag ?

En ma qualité de normande, petite, j'entendais mon père écouter Victor Vivier, un humoriste normand assez peu connu en dehors de la Normandie (et encore) et qui jouait à fond sur les travers locaux. Victor Vivier faisait-il de l'humour normand sans le savoir comme un certain Monsieur Jourdain qui oeuvrait, lui, dans le domaine de la prose ? Réfléchissons et rendons-nous compte qu'on ne gagne rien à segmenter, à étiqueter, à enfermer dans des boîtes hermétiques des choses qui, par nature, n'ont pas vocation à l'être. Vive l'humour apatride ! Vive l'humour simplement humain !

Car l'humour, qu'est-ce dans le fond ? Simplement la perception d'un décalage. Et quel décalage ? le décalage entre la situation attendue et la situation effectivement réalisée. Par exemple, donnez une craie à un enfant dans une classe et envoyez-le au tableau. Il écrit, tout va bien, si par malheur la craie se casse, tous les autres sont morts de rire. Donc, oui, je veux bien qu'il y ait des différences entre les gens, mais uniquement du fait de leurs références et des choses qu'ils peuvent attendre de telle ou telle situation. D'où le cas archi classique d'une situation qui va faire rire certains et pas les autres, même au sein d'une même communauté. Tout simplement car n'ayant pas tous les mêmes références, ils n'ont pas tous les mêmes attendus, et ne perçoivent donc pas tous les décalages au temps t.
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