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Critique de karmax211


J'ai lu - le Père - hier en fin d'après-midi... j'en ai rêvé, cauchemardé serait plus approprié cette nuit.
Peut-être que la très grande qualité de la pièce a réveillé ( réveiller - nuit - cauchemar... je suis encore dans la confusion...) en moi les démons Alzheimer qui ont habité les dernières années de mon père et de deux parents très proches ?...
Avant d'entrer davantage dans les détails, je voudrais insister sur le fait que, si - le Père - fait partie d'une trilogie, cette trilogie comme la qualifie Zeller est "involontaire". Première raison pour ne parler que d'un volet à la fois.
Par ailleurs, j'ai besoin de temps pour que chacune des pièces infuse à son rythme.
Et enfin, comment, si l'on prend l'exemple de celle de Pagnol, attribuer une seule et même note à - Marius - et à - César - ? Sans minimiser l'intérêt du troisième volet de sa trilogie, - César - n'atteint pas le brio de - Marius -.
C'est mon avis. En tant que tel, il n'engage que moi.
Venons en à Florian Zeller et à ce "père" dont j'ai pu voir qu'un commentaire reprend toutes les infos du Net, à savoir que la pièce a été jouée dans le monde entier, que pour The Guardian , elle est " la pièce la plus acclamée de la décennie", pour The Times " une des meilleures pièces de la décennie", et qu'ayant été portée à l'écran par Zeller, aidé pour le scénario de Christopher Hampton (- Parole et guérison -), l'un et l'autre ont été oscarisés, et que dans le rôle de The Father, le génial Anthony Hopkins s'est vu attribuer le Prix du meilleur acteur.
Je copie-colle : "En février et mars 2021, le film obtient quatre nominations aux Golden Globes, dont celle du meilleur film dramatique, six nominations aux BAFTA, dont celle du meilleur film, et six nominations aux Oscars, dont celle du meilleur film.
Le 25 avril, il recueille deux Oscars : celui du meilleur scénario adapté pour Christopher Hampton et Florian Zeller ; celui du meilleur acteur pour Anthony Hopkins."
Tout tend donc à prouver que cette oeuvre est une très grande oeuvre, et en effet, elle l'est.
Un octogénaire, André, est atteint de la maladie d'Alzheimer. Sa fille, Anne, essaie de s'en occuper avec dévotion et amour. Pierre, le compagnon d'Anne, essaie de se faire tant bien que mal à cette situation qui, non seulement dévaste la vie d'André, mais bouleverse celle de son entourage. Prise par ses obligations professionnelles et parce que le mal gagne du terrain, Anne fait appel à Laura, une infirmière.
À ces personnages, s'ajoutent un homme et une femme... qui sont les substituts a-mnésiques d'André.
Cette pièce m'a fait penser aux Égyptiens qui, avant d'acquérir la maîtrise des peintures de face, ne peignaient que des profils. Ça m'a fait également penser à ces peintures moyenâgeuses avant la découverte de la perspective.
Pourquoi est-ce que je dis cela ?
Tout "simplement" parce que le prodige de Zeller est d'avoir rendu avec une efficacité de maître, l'état d'André, ses rares moments de lucidité, ses fréquentes absences, le glissement progressif de sa mémoire qui s'enfonce dans l'oubli... grâce à cet homme et à cette femme... que j'ai qualifiés de substituts a-mnésiques, d'avoir mêlé dans les différentes scènes de l'acte de la pièce ( chaque scène finissant sur la disparition des lumières et sur un noir qu'on pourrait qualifier de "blanc"...), la réalité et les défaillances, les duperies de cette mémoire trompeuse.
C'est d'avoir également trouvé cette astuce géniale qui consiste à faire disparaître progressivement les éléments du mobilier de l'appartement où se joue le drame comme disparaissent progressivement de la mémoire repères et souvenirs.
Bref, en un acte Zeller a su abolir le temps et inviter le temps d'un "spectacle" un mal dont on sait qu'il se moque du temps et de l'espace.
C'est une prouesse, d'où ces associations "comparatives"...
Le sujet, la maladie d'Alzheimer, est parfaitement maîtrisé.
Tout ce qui caractérise le comportement de ces hommes et de ces femmes atteints de cette pathologie est finement observé et restitué : le déni, les sautes d'humeur et souvent l'agressivité, la paranoïa qui conduit à dissimuler, à cacher ( pour André... sa montre dans le même placard ) et, ayant oublié qu'on l'a fait, crier au voleur, la confusion dans les souvenirs et dans celles de nos proches qu'on finit par ne plus reconnaître... jusqu'à la disparition de sa propre identité.
Zeller dit de sa pièce qu'elle est à la fois douleur pure et douceur pure.
Elle est ou elle a été pour moi bouleversante.
Certes, le tragique de cette maladie, génère souvent des situations "comiques". Prenez la tête de la réalité et mettez-la à l'envers... il ne peut pas en être autrement.
L'auteur a mis à profit cette réalité mise à mal pour alléger un propos qui eût été trop pesant sans ces moments de "respiration".
Pour terminer, ces mots d'André à la fin de la pièce ; des mots foetaux dits par un vieillard que la nuit enveloppe et qui se blottit dans les bras d'une infirmière " maternelle".
-"Je veux ma maman. Je voudrais qu'elle vienne me chercher. Je voudrais rentrer à la maison... J'ai l'impression de... J'ai l'impression de perdre toutes mes feuilles, les unes après les autres.... Je ne comprends plus ce qui se passe. Vous comprenez, vous, ce qui se passe ? Avec toutes ces histoires d'appartement ? On ne sait plus où mettre ses cheveux. Je sais où est ma montre. Elle est à mon poignet. Ça, je le sais. Pour la route. Mais sinon, je ne sais plus à quelle heure il faut que je..."
Un tour de force.
Une pièce magistralement pensée et écrite.
Beaucoup reconnaîtront, hélas du vécu.
Pour beaucoup, cette pièce est un tableau vivant d'un de ces mauvais tours que la vie nous joue... en espérant que vous n'aurez pas à le subir.
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