AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Niklos


On ne peut aborder la critique de la fin du A comme celle de tout autre bouquin de SF. le cycle du A fait plus qu'appartenir au genre : on pourrait dire qu'il l'englobe tout entier, qu'il le résume, qu'il est en la synecdoque. Même, que les rapports qu'entretiennent les amateurs de SF avec A (et avec l'oeuvre de van Vogt dans son entier) résument à leur façon ceux qu'entretient la masse des lecteurs avec la SF en général : ferveur, haine, incompréhension.
L'histoire de A (en France tout au moins) colle à l'histoire de la SF et à ce qu'il en est perçu par ses lecteurs. Rappelez-vous : le roman (paru en prépublication dans Astounding en 1945, puis en librairie en 48, dans une version sensiblement récrite) a été publiée au « Rayon Fantastique » en 1953. Ce n'était pas le premier volume de la collection mais le quatorzième . Ce n'était même pas le meilleur (Cristal qui songe, Guerre aux Invisibles, le silence de la Terre l'avaient précédé), mais c'était le plus surprenant, le plus dérangeant, celui qui pouvait amener le lecteur (non encore familier de la SF) à se poser le plus de questions. Dont celle-ci : qu'est-ce que tout ça veut bien dire ? Pour ce qui est de mon histoire personnelle, il se trouve que le monde des A est le premier « Rayon Fantastique » que j'aie lu (ma connaissance de la SF contemporaine se montant jusque-là à des Fleuve Noir), et l'histoire de mes rapports à la SF bute sur ce bloc incontournable : fallait-il admirer Van Vogt pour sa complexité ou le détester pour à peu près la même chose ? Etait-il ou non un « grand » écrivain ? La traduction de A, due à Boris Vian, et l'écho apporté à l'oeuvre de vV par la bande à Vian, dont Kast, ne simplifiaient pas les choses ; et, si l'on excepte notre bien-aimé rédacteur en chef qui, dès le départ, le snoba pour fait de non-littérature, la cause de l'admiration paraissait entendue, bien que la publication, en 57, toujours au R F, des Joueurs du A, soit venue ternir quelque peu l'image de la saga (mais il y avait eu entre-temps des vV admirables, La faune de l'espace, A la poursuite des Slans).
le point médiant sur vV avait été effectué l'année précédente dans les pages de Fiction 34, avec un article intitulé Van Vogt ou la démence rationalisée, signé Marc Starr ; mais c'est Gérard Klein qui tenait la plume, pour dire en deux mots : vV est un écrivain médiocre, mais son imagination fabuleuse lui tient lieu de talent. L'affaire rebondit en 62, dans Fiction toujours, avec la traduction d'un célèbre démolissage du Monde des A, dû à Damon Knight : A.E. van Vogt, gâcheur cosmique (n° 102), auquel répondit, dans les trois numéros suivants, un Jacques Goimard (outré), avec L'oeuvre exemplaire d'AEvV. Mais l'amour du second ne pouvait guère recoller ce que le premier avait si perspicacement disséqué (fond et forme, avec texte à l'appui), et la phrase lapidaire qui termine l'article de Knight restera, je crois, toujours dans l'histoire de la SF : « vV n'est pas un géant ; un pygmée plutôt, qui a appris à tapoter sur une machine à écrire trop grande pour lui. »
Un pygmée qui retient les leçons, en tout cas. Car, dans la version révisée et définitive de A mise au point par vV en 1970 (et aussitôt traduite chez J'ai Lu), l'auteur, dans une postface intéressante, citait Knight et avouait s'être basé sur ses critiques pour modifier son texte : un exemple rarissime de lucidité et de modestie ! Entre-temps, le C.L.A. avait publié, en 1965 et 69, Les armureries d'Isher et Les fabricants d'armes (sans aucun doute le meilleur cycle de l'auteur), et Destination univers et Au-delà du néant (deux recueils de ses meilleures nouvelles, datant des années 40 et 50) : on tenait là le summum de l'oeuvre vanvogtienne ; hélas, pour la plupart des amateurs de SF, le temps de l'indifférence était arrivé, voire celui du dénigrement ironique : c'est que la new wave anglaise et les grands jeunes gens en colère d'Amérique avaient débarqué en masse et sonnaient le glas des constructions thématiques, au bénéfice de la recherche, de l'engagement, en somme de la littérature.
Et c'est pourtant bien en 70 que Jacques Sadoul commençait d'introduire la SF en J'ai Lu, en y injectant massivement du van Vogt... Ce qu'il continue à faire, quatorze ans plus tard, en traduisant systématiquement tout ce que le vieux maître du A (qui a aujourd'hui 72 ans) continue de produire routinièrement. Qu'importe : ça marche, à cause du système bien connu du vedettariat qui, une fois imposé, continue en roue libre. Van Vogt est un des quatre ou cinq noms que le public non spécialisé connaît en SF, et le monde des A ne doit pas être loin des 300 000 exemplaires vendus, un record enviable que n'égalent ou à peu près que les seules Chroniques martiennes. Là-dessus nous arrive, non pas vingt ans après mais trente-cinq, La fin du A...
Dans son Histoire de la science-fiction moderne (J'ai Lu), Sadoul note (p. 201) que vV lui avait avoué qu'il songeait depuis longtemps à écrire une suite aux deux premiers A, « qu'il savait quelle serait la chute de l'histoire, mais qu'il n'avait pu »visionner« les événements conduisant de la situation telle qu'elle était définie à la fin de The Players of A jusqu'aux scènes ultimes de la saga ». Sans doute vV a-t-il finalement pu visionner ce qu'il désirait, puisque Null-A Tree est sorti en 1983 aux USA (dédié à des tas de gens, dont Sadoul). S'agit-il d'un événement ? Il paraît moins important que la suite de 2001 ou celle des Fondation, tout simplement parce que son géniteur n'a pas su garder une place médiatique comparable à celle de ses deux confrères. S'agit-il d'une nécessité ? Les deux premiers A, tout cousus d'obscurité qu'ils soient, forment tout de même un récit à fin ouverte mais complet, vénusien puis galactique, où le destin de (des) Gilbert Gosseyn est saisissable. Y revenir — mais surtout y revenir trente-cinq ans plus tard — aurait demandé un surcroît de développements originaux (peut-être une plongée dans le passé, à l'origine du concept-Gosseyn...)
Or, on ne trouve rien de tout cela (et rien dans aucune autre direction possible) dans La fin du A. Un Gosseyn III s'éveille à bord d'une capsule spatiale. Il est capturé par un vaisseau dzan, que le réveil de Gosseyn a transféré d'une autre galaxie, au moment d'un conflit spatial avec les Troogs. Gosseyn est constamment en rapport télépathique avec Gosseyn II, resté sur la planète Gorgzid depuis la fin des Joueurs... Avec son aide, puis le concours ( ?) des autres personnages de l'histoire (l'empereur Enro, Eldred Grang, etc.), Gosseyn se télétransporte sur Terre. Grâce à la Sémantique générale, il trouve la solution au conflit spatial qui menaçait la Terre ; la mission des Gosseyn est donc terminée, ils peuvent maintenant vivre en humains normaux.
Il y a certes quelque chose d'assez émouvant dans cette fin : le super-chantre des super-héros, vieilli, trouve finalement que rien ne vaut la vie de tous les jours et les joies du mariage (vV s'est remarié en 1979, après la mort d'Edna, sa première épouse) : effectivement, le seul passage un peu amusant du roman est celui où Gosseyn III repousse les avances de la mère du tout jeune empereur des Dzan, en se rendant compte qu'aucun Gosseyn n'a jamais fait l'amour, et qu'il risque de ne pas savoir s'y prendre. Il épousera tout de même la reine Strala (après la fin du récit), et Gosseyn II lui transmet : « Tous mes souhaits de bonheur à vous deux... mon frère » (p. 252 et dernière). Une chute tout de même moins frappante que celle qui boucle le premier opus de la saga (« ... il y trouvait la fin tangible de sa quête. C'était son propre visage »). Mais le vrai problème est que, tout fumeux et inutile que soit La fin du A, c'eût pu être un roman agréable à lire s'il avait été soutenu par une certaine dynamique de récit ; hélas, non seulement il ne se passe rien dans ces 250 mornes pages, mais ce rien n'est sous-tendu par aucune incidente, aucune péripétie, aucune dramaturgie : Gosseyn n'est à aucun moment en danger, ce n'est qu'une enveloppe vide perpétuellement occupée à ses « similarisations à vingt décimales » qui lui permettent de se télétransporter ; ses acolytes (Enro, etc.) ne font même pas de la figuration intelligente, et il ne reste plus trace de la grandeur visionnaire qui animait le premier A (la vie sur Vénus en particulier). La seule chose dont vV n'est pas avare, c'est son charabia habituel pour exprimer les choses les plus simples (« C'est une situation de vie typique, relativement à la réalité fondamentale » — p. 7). Quant à l'intelligence de Gosseyn... Celui-ci se trouve dès le début du récit dans un gigantesque vaisseau bourré de soldats, et il lui faut attendre la page 102 pour se dire : « J'ai l'Impression d'être à bord d'un navire de guerre ». Gasp !
Tout est de ce niveau ou presque, tout est plat, désolé, incroyablement déliquescent. Van Vogt est-il devenu à ce point sénile ? Je ne pense pas : dans La machine ultime, autre roman de 1983 précédemment traduit chez J'ai Lu, il fait une étonnante introspection d'un cerveau électronique au pouvoir ubique, dans le cours d'une politique-fiction relativement originale. Alors ? Alors vV, outre le fait qu'il a complètement oublié, et les deux premiers A, et ce que peut bien être la Sémantique générale, n'a dû écrire La fin du A que poussé par une seule nécessité : une poignée de dollars. Pour le reste, il avait le cerveau second ailleurs.
En fait, vV se trahit dès la page 30 de son forfait : « Plus Gosseyn développait cette explication fumeuse et évasive, plus il se sentait malheureux d'être obligé de le faire ». Remplaçons Gosseyn par Van Vogt et explication par histoire, et nous avons ses aveux complets.

Jean-Pierre ANDREVON
dans Fiction 352
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}