Qu'est-ce que la Vue ? demanda Rimpotché. C'est le fait d'être capable de voir les choses telles qu'elles sont. C’est comprendre que la nature de l'esprit est la nature de toutes choses et que cette nature est la vérité ultime. Quelle est la nature de l'esprit ? Elle est pareille au ciel : vide, vaste et pure. Pareille au soleil : lumineuse, claire, illimitée. Elle est toujours présente, partout.
Lorsque Rimpotché se tut, nous formâmes une longue queue dans la cour afin de recevoir chacun un mantra. Quand ce fut mon tour de m'approcher de son trône, il me murmura à l'oreille : La lumière est la nature de l'esprit de chaque être ; rien ne peut l'obscurcir.
Nuit et jour, en méditation, pendant les repas, avant de m'endormir, au réveil, je contemplai les mots reçus de Rimpotché : « La lumière est la nature de l'esprit de chaque être... » La lumière, nature de l'esprit. Une lumière éclatante, rayonnante traverse chaque partie de mon corps. Fils d'or qui se glissent dans mon sang et mes os, dispersant l'obscurité de ma pensée, dissolvant mes désirs égoistes. Peu importe la confusion qui par moments surgit, l'attachement qui m'enserre, la véritable nature de mon esprit demeurera, indestructible, pérenne et lumineuse. Chaque jour qui passe, j'ai la sensation d'une lumière qui s'accroît dans tout mon être, comme un arc-en-ciel qui se forme peu à peu dans le ciel. Une chaleur lumineuse lovée dans mon cœur.
Le lendemain, Rimpotché continua son enseignement.
- Rien n'est permanent, vous êtes comme un éclair dans le ciel, comme une bulle à la surface de l'eau, comme la rosée sur les feuilles d'arbre. Assister à la mort dans la vie quotidienne fournira une base à votre vie pratique. Il est donc important de reconnaître la nature de la mort et le caractère éphémère inhérent à tout mortel.
Je marche un moment en compagnie de Tashi Norbou, de Gonjo, et de Thinlé Tashi, de Kanzé. Eux aussi vivent à Dharamsala auprès de Sa Sainteté, comme les milliers de Tibétains qui ont fui les Chinois. Silencieux, nous faisons un bout de chemin ensemble, mais bientôt, je reste en arrière, perdue dans mes pensées. Le visage de Sa Sainteté est toujours devant moi. Quand je le vois, ma tristesse disparaît, la solitude et l'attente de longues années s'abolissent. Tel un soleil rayonnant, son visage a dissipé les ténèbres. Comme je m'en suis remise à lui pendant tout ce temps, je suis enfin libre. "Vous avez vu la tragédie du Tibet. Vous avez vécu ses souffrances. Vous devez raconter votre histoire afin que les autres sachent", m'avait-il dit un jour. (p. 30)
En 1989, année du Cheval d'eau, je m'établis à Dharamsala. Depuis j'ai pris part à toutes sortes d'activités pour soutenir le Tibet, j'ai rencontré des amis et des gens du monde entier. Mais par dessus tout j'ai effectué ma pratique spirituelle. Chaque jour, je me lève tôt. Après avoir rempli d'eau les bols à offrandes de mon autel placé au dessus de mon lit, je descends la route qui entoure le temple de Sa Sainteté. Là, je me joins à tous ceux qui font la circumambulation quotidienne.
Je m'appelle Lemdha Patchèn, cheffesse de la tribu de Lemdha. Je suis née en 1933, l'année de l'Oiseau d'eau femelle. Le lama de mon enfance m'enseigna que rien n'est permanent en ce monde. mais à cette époque-là, je n'ai entendu que des mots. aujourd'hui je les ai vus devenir réalité.
Nous étions riches, nous avions du bétail, des chevaux, des serviteurs et nous régnions sur les nomades. J'avais une précieuse famille qui m'aimait. Mais cette époque est révolue. Aujourd'hui je suis seule.
Les gens de ma génération meurent doucement. Votre génération prend le relais. Mais elle vieillira et une autre lui succédera. Ainsi vont les choses.
Mon père était connu pour son ardeur, son courage et son discernement. Il n'y avait personne dans tout le Gonjo qui puisse le défier ou le vaincre. mais il n'est plus aujourd'hui qu'une légende du passé. Quand je mourrai, la lignée des Phomdh Gonor Lemdha s'éteindra.
Et il ne restera plus que mon histoire.
P.373 : Le lama de mon enfance m'enseigna que rien n'est permanent en ce monde. Mais à cette époque là, je n'ai entendu que des mots. Aujourd'hui je les vus devenir réalité.
Nous étions riches, nous avions du bétail, des chevaux, des serviteurs. j'avais une précieuse famille qui m'aimait. Mais cette époque est révolue. Aujourd'hui je suis seule.