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Lettre à Victor Hugo – Salins, le 28 novembre 1864
Dans son aversion envers le gouvernement du Second Empire qui ne cesse de le rejeter, Courbet souhaiterait faire les portraits des deux opposants au régime que sont Pierre-Joseph Proudhon et Victor Hugo.
A la fin de l’année 1864, le peintre écrit à Victor Hugo dans un style très emphatique.
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Cher et grand Poète
Vous l’avez dit, j’ai l’indépendance féroce du montagnard. On pourra, je crois, mettre hardiment sur ma tombe, comme dit l’ami Buchon : « Courbet sans courbettes ».
Mieux que tout autre, poète, vous savez que notre pays est heureusement en France, le réservoir de ces hommes bouleversés des fois comme les terrains auxquels ils appartiennent , mais souvent aussi taillés dans le granit.
Ne vous exagérez pas ma valeur. Le peu que j’ai fait était difficile à faire. Quand je suis arrivé, ainsi que mes amis, vous veniez d’absorber le monde entier, en César humain et de bonne forme.
A la fleur de votre âge, Delacroix et vous, vous n’aviez pas comme moi l’Empire pour vous dire : « Hors de nous point de salut. » Vous n’aviez pas de mandat d’amener contre votre personne, vos mères ne faisaient pas comme la mienne des souterrains dans la maison pour vous soustraire aux gens d’armes. […] Les luttes étaient artistiques, c’étaient des questions de principes, vous n’étiez pas menacés de proscription.
Les cochons ont voulu manger l’art démocratique au berceau. Malgré tout, l’art démocratique grandissant les mangera.
Malgré l’oppression qui pèse sur notre génération, malgré mes amis exilés, traqués, même avec des chiens, dans les forêts du Morvan, nous restons encore 4 ou 5. Nous sommes assez forts, malgré les renégats, malgré la France d’aujourd’hui et ses troupeaux en démence, nous sauverons l’art, l’esprit et l’honnêteté dans notre pays.
Oui, j’irai vous voir, je dois à ma conscience de faire ce pèlerinage. Avec vos Châtiments vous m’avez vengé à demi.
J’irai devant votre retraite sympathique contempler le spectacle de la mer. Les sites de nos montagnes nous offrent aussi le spectacle sans bornes de l’immensité, le vide qu’on ne peut remplir donne du calme. Je l’avoue, Poète, j’aime le plancher des vaches et l’orchestre des troupeaux sans nombre qui habitent nos montagnes.
La mer ! la mer ! avec ses charmes m’attriste ! Elle me fait sans sa joie, l’effet du tigre qui rit ; dans sa tristesse elle me rappelle les larmes du crocodile, et dans sa fureur qui gronde, le monstre en cage qui ne peut m’avaler.
Oui, oui, j’irai, quoique ne sachant pas jusqu’à quel point je me montrerai à la hauteur de l’honneur que vous me ferez en posant devant moi.
Tout à vous de cœur.
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Après la médaille d’or obtenue au Salon avec son « Une après-dînée à Ornans » et l’achat de sa toile par l’Etat, Gustave Courbet annonce à ses amis parisiens que désormais il est devenu le « maître d’Ornans ». Il parcourt à pied les 25 kilomètres séparant Besançon d’Ornans. Les amis d’Ornans, prévenus, viennent à sa rencontre et on l’accueille dans le village dans la liesse, avec fanfare, banquet, discours. C’est le retour du fils prodigue, l’artiste qui triomphe à Paris.
Lettre à Francis (ami écrivain) et Marie Wey – Ornans, vers le 30 octobre 1849
Quand je suis rentré à Ornans, ma ville natale, j'arrivais à pied de Besançon. Mes amis étaient venus sur la route à ma rencontre. Ils dînaient tous chez nous et voilà qu'au dessert Promayet sort, ses musiciens répétaient encore à la mairie, alors ils vinrent me donner une sérénade, suivis d'une grande partie de la population. Promayet, qui était chef d'orchestre, m'avait ménagé une surprise : il avait arrangé mes romances en symphonie qu'ils exécutaient fort agréablement. Je vous tiens quittes de mon allocution. Je les invitai à venir boire ; voila notre maison pleine. Il me fallut leur chanter mes romances, puis on dansa jusqu’à 5 heures du matin. Je vous laisse à penser si je dus embrasser du monde et recevoir des compliments dans toute la ville.
Enfin, il paraît que j'ai bien honoré la ville d'Ornans.
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« L’enterrement à Ornans de Gustave Courbet, 1849, musée d’Orsay » n’entre pas dans les cases habituelles. Au Salon de 1850, cela agace. Est-ce une scène d’histoire, un portrait de groupe, un paysage, une œuvre religieuse, un manifeste politique en ces temps de troubles ? Un peu de tout. Des paysans, des artisans, des ecclésiastiques, des bourgeois, des socialistes, sont mêlés. L’artiste élève au rang d’évènement historique, un épisode banal, familier, un enterrement campagnard.
Lettre à Champfleury (écrivain, critique d’art) – Paris, vers février 1850
" Parlons des tableaux. J'ai déjà fait plus de peinture depuis que je vous ai quitté qu'un évêque n'en bénirait.
Ici les modèles sont à bon marché, tout le monde voudrait être dans l'Enterrement. Jamais je ne les satisfais tous, je me ferai bien des ennemis. Ont déjà posé : le maire, le curé, le juge de paix, le porte-croix, l e notaire, l’adjoint Marlet, mes amis, mon père, les enfants de choeur, le fossoyeur, deux vieux de la Révolution de 93, avec leurs habits du temps, un chien, le mort et ses porteurs, les bedeaux (un des bedeaux a un nez rouge comme une cerise, gros en proportion et de 5 pouces de longueur, que Trapadoux aille s'y frotter !) , mes soeurs, d'autres femmes aussi, etc.
Seulement je croyais me passer des deux chantres de la paroisse, il n'y a pas eu moyen. On est venu m'avertir qu’ils étaient vexés, qu’il n'y avait plus qu'eux de l'église que je n'avais pas tirés ; ils se plaignaient amèrement disant qu'ils ne m'avaient jamais fait de mal et qu'ils ne méritaient pas un affront semblable, etc."
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Sur le tableau de Gustave Courbet – Les baigneuses, 1853, musée Fabre, Montpellier
Théophile Gautier parle dans « La Presse » le 21 juillet 1853 : « Rompre violemment avec l’antique et les traditions du beau, peindre dans toute leur disgrâce les laideurs les plus rebutantes avec une grossièreté volontaire de touche, tel est le programme que s’est imposé M. Courbet, et il le suit fidèlement. A propos des « Baigneuses » il écrit : « Figurez-vous une sorte de Vénus hottentote sortant de l’eau, et tournant vers le spectateur une croupe monstrueuse et capitonnée de fossettes au fond desquelles il ne manque que le macaron de passementerie."
Lettre de Courbet à ses parents – Paris, vers le 13 mai 1853
Pour Les baigneuses, çà épouvante un peu, quoique depuis vous j’y aie ajouté un linge sur les fesses. Le paysage de ce tableau a un succès général.
Lettre à ses parents – Paris, vers le 26 juin 1848
Nous sommes dans une guerre civile terrible, tout cela faute de bien s'entendre et par incertitude. Les insurgés se battent comme des lions car ils sont fusillés quand ils sont pris. Ils ont déjà fait le plus grand mal à la Garde nationale. Les provinces environnant Paris arrivent à chaque heure. Le succès n’est pas douteux car ils ne sont pas en nombre. Jusqu 'ici la fusillade et le canon n'a pas arrêté une minute. C'est le spectacle le plus désolant qu'il soit possible d'imaginer. Je crois qu'il ne s'est jamais rien passé en France de semblable, pas même la Saint-Barthélemy. Tous ceux qui ne se battent pas ne peuvent sortir de chez eux car on les y ramène. La Garde nationale et la banlieue gardent toutes les rues. Je ne me bats pas pour deux raisons : d'abord parce que je n'ai pas foi dans la guerre au fusil et au canon et que ce n'est pas dans mes principes. Voila dix ans que je fais la guerre de l'intelligence, je ne serais pas conséquent avec moi-même si j’agissais autrement. La seconde raison c'est que je n'ai pas d'armes et ne puis être tenté. Ainsi, vous n’avez rien à craindre pour mon compte.
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(Une amie tente de marier le peintre Gustave Courbet à une obscure femme, Céline. Il a déjà 45 ans et a beaucoup grossi…)
Lettre à Lydie Joliclerc – Paris, vers juin 1865
Vous allez voir si je suis malheureux. […] J’ai oublié encore une fois de demander le portrait de Céline. J’ai oublié de lui envoyer le mien. Il faut croire que je suis toqué. Céline va plus fort que moi, c’est ce qu’il faut. Il faut que ce soit elle qui le désire pour être heureuse. Je suis trop gros ! Je suis trop vieux ! Voilà des points terribles. Pourtant je suis un des plus jeunes de mes contemporains dans les hommes connus ou célèbres. Ça doit être de peu d’importance pour elle, puisqu’elle voulait se marier avec M. de Lamartine (celui-ci a alors 75 ans). Quant à la grosseur, hélas, le mariage réglera bien tout cela. Les devoirs des maris et le peu de liberté qu’ils ont de boire de la bière suffiront.
Lettre à Théophile Gautier – Paris, vers avril 1846
En exposant on s’expose non seulement à être refusé, mais encore, lorsqu’on échappe à ces censeurs ridicules, à se voir suspendu à des hauteurs prodigieuses où l’on est certainement à l’abri de la critique, mais à une place qui ne fait pas, je l’avoue, à beaucoup près mon affaire. Car si je fais de l’art, ou plutôt, si je cherche à en faire, c’est d’abord pour tâcher d’en vivre, ensuite c’est pour mériter la critique de quelques hommes tels que vous, qui jouiront d’autant mieux de mes progrès qu’ils auront apporté plus de sollicitude à me guérir de mes traverses. Or depuis tantôt sept ans que je fais de la peinture à travers le dédale de toutes les écoles, n’ayant eu pour maître et pour guide que mon sentiment, il me tarde singulièrement de savoir où j’en suis et où mes efforts ont abouti.