Il se ment à lui- même.
Je sais qu'il l'a toujours fait.cette façon de ne pas appeler les choses par leur nom se pratique dans sa famille comme une marque de civilité.Je n'y voyais pas réel danger.
Je les traitais tous d'autruche.Je ne pensais pas qu'à force de se mentir à soi- même, on pouvait ne plus savoir qui on était.Ni ce qu'on faisait.Ni pourquoi on le faisait.
( p.33)
Je sais maintenant que ce ne sont pas des jeunes filles pleines d'espérance qui brodent, qui cousent, qui tricotent.
Ce sont des femmes tristes, dont la longe est trop courte, qui se réfugient dans des ouvrages.Pour ne pas penser.Ne rien entendre.
( p.48)
Là est la surprise merveilleuse de l'écriture. Le résultat sera autre que ce que je croyais.
Différent de mes pages séparées. Quand les pages se rejoignent...Un jour, je me le suis promis, j'arriverai à quelque chose.Qui fera un tout.
Un tout cohérent. Même avec mes morceaux, mon patchwork d'écriture.
( p.22)
Je suis "au pair".Sans argent de poche.
Depuis seize ans.
Et je n'aime pas demander.
Je n'ai pas fait fortune.
J'ai appris à écrire.Est-ce qu'en mon nom j'ai quelque chose à dire?
J'ai usé l'I.B.M. Il a fallu changer son clavier.Monsieur ne veut pas que je gagne de l'argent qui se cumulerait avec ses impôts à lui.Je travaillerais pour rien.
J'ai fait le nègre au noir et je n'ai toujours pas été payée.
Quand je lis dans les magazines qu'élever des enfants est le plus beau métier du monde. je ricane.Monsieur Debray, si je le rencontre, je lui fais un croche- pied.
( p.38)
Quand il fera vilain temps, je pourrais relire de vieilles lettres.Tout doucement.Avant de les brûler.En écoutant ce qu'elles remuent en moi.Pour ça. Il faut un feu et une cheminée. Une nuit très noire derrière les volets bien clos.Hum...je parle, je parle, je fais la fière.Et je ne détruis jamais rien.Je remets soigneusement dans le carton à chaussures.Sans pitié pour mes héritiers. J'essaierai encore cette année.
( p.78)
Je ne me suis pas mariée pour savoir quand l'eau bout.Comme si la vie commune, avec le temps, ne se remplissait plus que de détails, de contingences.
Je sais que j'ai un peu la tête dans les nuages, mais je ne me suis jamais fait écraser, je veux traverser toute seule.
Et même marcher sur une crotte si j'en ai envie.
( p.83)
On va dans la lune.La médecine fait des progrès chaque jour.Moi j'aimerais tant que les médecins empêchent les hommes de ronfler si fort!
Ce n'est certainement pas très difficile, on doit bien trouver pourquoi ils ronflent.Toutes les femmes pourraient enfin dormir et entendre les cigales et le vent !
( p.58)
Un jour, j'espère, j'aurai un vrai bureau et le droit d'écrire.Sans me cacher.
Pour l'instant, je pratique la " velléité d'écrire"- comme dit mon mari- en vice honteux." Mais tu n'arriveras jamais à rien".En taupe sourde et muette.
Je glisse des feuilles sous le tapis.Je tremble pour mes planques.Je me fais donner de l'argent par mes amis pour une machine a écrire électrique d'occasion.Et le dentiste m'a pris mes économies. J'ai bien essayé de remplir moi-même la feuille de remboursement.
Le remboursement a quand même été envoyé à mon mari.
( p.26)
Le destin des gens, raconté par ma mère, je ne m'en lasse pas.Je n'arrive pas à finir " les Chroniques martiennes" parce que je n'y crois pas.La vraie vie pour moi est celle racontée par Maman.
( p.66)
Je ne veux pas vivre un arrangement.Je veux encore être aimée.Comme avant.(...)
J'ai encore trop envie d'être aiment d'aimer.Je n'ai pas peur de la pauvreté.M'en fiche.Je ferai n'importe quoi.Concierge me plairait bien.On est chez soi.Au chaud.Et on voit passer du monde.Avec les nouvelles poubelles, à roulettes, je serai même capable de sortir les poubelles.La tête haute.Je sortirai les poubelles la tête haute à cinq heures du matin ?
Hum.
( p.29)