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Citation de michelekastner


HECUBE

Ô ma fille, je ne sais plus lequel de mes malheurs considérer,
tant ils se pressent ; si je m'attache à l'un d'entre eux,
il ne me lâche plus ; mais de là-bas me sollicite
une douleur nouvelle qui enchaîne malheur après malheur.
A l'instant, c'est toi : comment ne pas pleurer ton sort ?
je ne pourrais l'effacer de mon coeur.
Et pourtant tu m'as épargné le trop plein quand j'apprends
ta noblesse. N'est-ce pas étrange : la terre,
même mauvaise, dès que les dieux la favorisent, porte de beaux épis ;
la bonne, privée du nécessaire,
donne de mauvais fruits ; les humains, eux, ne changent pas.
L'homme de rien ne peut être qu'un lâche,
le valeureux que valeureux ; même dans le désastre
il garde intacte sa nature, sa qualité ne change pas.
Est-ce l'hérédité qui fait la différence, ou bien l'éducation ?
La bonne éducation comporte sans nul doute
l'apprentissage du bien : pour peu qu'on l'ait suivi,
il suffit, pour connaître le mal, de se régler sur les normes du bien.
Mais ce sont là des traits que mon esprit décoche à vide...
Toi, va là-bas, fais savoir aux Argiens
que personne ne me la touche, qu'on écarte la foule
de ma fille ; je sais, dans une immense armée,
que la foule est incontrôlable, l'indiscipline des marins
plus forte que le feu : mauvais qui ne fait pas le mal.
Et toi, de ton côté, toi, ma vieille servante, prends un vase,
plonge-le dans la mer, rapporte-le ici,
que je donne à ma fille son dernier bain,
à l'épousée sans époux, la vierge sans virginité,
et puis l'expose - selon son mérite ? avec quoi ?
c'est impossible ; alors, selon mes moyens (où en suis-je !).
Pour la parer, je vais faire le tour des captives
qui vivent avec moi à l'intérieur
de ces baraques et rassembler ce que peut être, à l'insu
de leurs maîtres nouveaux, elles ont volé dans leur propre maison ;
Fastes de mon palais, ô ma maison jadis heureuse,
ô Priam comblé des plus grands biens et des plus beaux
enfants, et moi, ici, la vieille mère de ces enfants,
quel néant est le nôtre aujourd'hui, dépouillés que nous sommes
de notre ancienne fierté ; et nous trouvons encore à nous enfler d'orgueil,
l'un pour sa demeure opulente,
l'autre pour ses titres d'honneur auprès de ses concitoyens !
Néant que tout cela ! Vanité, tous les projets de nos pensées,
et les éclats de notre langue ! La plus grande félicité,
c'est qu'il n'arrive, jour après jour, aucun malheur !

HECUBE, 585-628
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