porter un autre regard sur les questions d’insécurité qui sont aujourd’hui largement pensées, dans les représentations communes, comme le produit de pratiques délinquantes motivées par le vol ou les trafics
Ce numéro s’intéresse à la construction des corps au travail, disciplinés par les systèmes de genre et de classe. Formatés en amont par la socialisation primaire et secondaire, ces corps n’arrivent pas bruts sur le marché de l’emploi. L’intérêt de porter la focale sur le travail est alors double : il s’agit à la fois de saisir comment le travail dans une entreprise donnée transforme les corps et de faire apparaître combien les normes imposées dans celle-ci peuvent entrer en tension avec celles héritées des socialisations antérieures.
Peut-on utiliser le terme de « solidarités familiales » pour désigner les diverses formes d’entraide entre les membres de la famille élargie, donnant ainsi l’illusion que toutes et tous se soucient mutuellement de leur bien-être, alors qu’une bonne partie de ces entraides, qui impliquent du travail non rémunéré, sont exécutées par les femmes ? Que signifie pour les féministes de parler de solidarité dans une institution qui repose, entre autres, sur l’assignation du travail domestique aux femmes.
Faut-il le rappeler, ce sont fréquemment des arguments religieux qui, aujourd’hui comme hier, sont mobilisés à l’encontre de revendications centrales pour le féminisme dit de la deuxième vague, liées à l’autodétermination et à une valorisation du corps qui implique, par exemple, le droit à la contraception et à l’avortement, la légitimité d’une sexualité non reproductive et indépendante du mariage ou encore, plus récemment, une égalité de traitement entre homos et hétéros
… ce que peut montrer la sociologie, c’est que les conditions d’émancipation des compagnes d’agriculteurs se jouent dans les conditions d’emploi des femmes sur le marché du travail salarié, dans la capacité des femmes et des hommes à davantage partager les charges domestiques, et dans les politiques publiques de prise en charge de la petite enfance
Des indignées madrilènes articulant lutte féministe, lutte anticapitaliste et quotidienneté ; des féministes mexicaines dénonçant et sanctionnant en pleine place publique les auteurs des féminicides ; des activistes allemandes armées de pompons, toutes de rose et argenté vêtues pour interrompre le spectacle viriliste de la gauche radicale face à la police ; des militantes en marche pour enseigner aux femmes comment protéger et récupérer des semences indigènes en Inde et au Paraguay… Ces quelques exemples tirés du Grand angle illustrent le renouvellement actuel des formes de militantisme féministe. Mais qu’est ce qui a changé ? Que reste-t-il des modes d’organisation, de communication et d’action du féminisme des années 1970 , Les jeunes féministes ont-elles fait tabula rasa de l’héritage des anciennes pour faire du neuf ? Oui et non
Rappelons que le travail ménager est gratuit ”non en raison de la nature des services qui le composent – puisqu’on les trouve tous sur le marché – ni en raison de la nature des personnes qui le fournissent (puisque la femme qui cuit gratuitement une côtelette dans son ménage est rémunérée dès qu’elle le fait dans un autre ménage), mais en raison de la nature particulière du contrat qui lie la travailleuse – l’épouse – au ménage, à son ”chef”.
Ces images d’Épinal de la réussite au féminin non seulement continuent d’appréhender la conciliation, donc la gestion conjointe de la famille et du travail, comme une affaire de femmes, mais elles alignent les critères de réussite des femmes tant au travail qu’à la maison, sur des critères masculins, tout en postulant haut et fort que les femmes sont différentes
Leurs conceptions de l’engagement, leurs modalités d’organisation et d’action, ainsi que l’ancrage social de leurs revendications rendent compte non seulement du sens féministe donné au fait de militer, mais aussi de la manière dont se construit la légitimité du type de militantisme qu’elles promeuvent et dans lequel elles s’engagent
Sommaire
Édito : Clothilde Palazzo-Crettol, Carola Togni, Marianne Modak et Françoise Messant : Les enjeux sexués des « solidarités familiales »
Grand angle
Marianne Kempeneers, Isabelle Van Pevenage et Renée B. Dandurand : Les solidarités familiales sous l’angle du travail: un siècle au Québec
Marie-Clémence Le Pape, Élise Tenret, Bérangère Véron, Karine Pietropaoli et Marie Duru-Bellat : « Ce sont ceux qui en parlent le plus qui en font le moins ». Pratiques et normes de solidarité familiale chez les femmes et les hommes dans la France contemporaine
Annick Anchisi et Laurent Amiotte-Suchet : Vivre dans une communauté de religieuses. Des solidarités revisitées à l’aune de la vieillesse
Camille Logoz : « L’éternel potage » qu’on nous ressert à chaque fois. Représentation et négociation des normes d’entraide familiale dans la pensée féministe d’Iris von Roten
Champ libre
Zahra Ali : La fragmentation du genre dans l’Irak post-invasion
Marie Mathieu : Le Centre de Santé des femmes de Montréal d’hier à aujourd’hui. Des pratiques en mouvements
Parcours
Camille Masclet et la transmission familiale du féminisme
Entretien réalisé par Françoise Messant et Marianne Modak
Actualités
Martin Dufresne : Dworkin, aujourd’hui. À propos de sa Préface à Intercourse (Coïts)
Andrea Dworkin : Préface de Coïts
Comptes rendus
Dina Bader : Sara R. Farris, In the Name of Women’s Rights. The Rise of Femonationalism
Edmée Ollagnier : Diane Lamoureux, Les possibles du féminisme
Farinaz Fassa : Nadia Lamamra, Le genre de l’apprentissage, l’apprentissage du genre
Lori Saint-Martin : Sextant, Muriel Andrin, Stéphanie Loriaux et Barbara Obst (Coord.) M comme mère, M comme monstre
Ginevra Conti Odorisio : Sarah M. Grimké, Lettres sur l’égalité des sexes
Joy Charnley : Nahema Hanafi, Le frisson et le baume. Expériences féminines du corps au Siècle des Lumières
Anouk Essyad : Feminist Studies, Decolonial and postcolonial approaches : a dialogue
Collectifs
Les indociles : A l’heure où tout le monde se dit pour « l’égalité », nous nous revendiquons féministes
Camille Klamydia’s : Association pour la santé sexuelle des femmes qui aiment les femmes
Hommage
Christel Hamel : Colette Guillaumin (1934-2017) : une pensée constructiviste et matérialiste sur le sexisme et le racisme
Christine Delphy : Kate Millet (1934-2017) : une immense figure du féminisme