Un seul mot
Pour nous comprendre et vaincre le silence
nous n'avions qu'un seul mot
pour éclairer la route
faire échec à la nuit
nous n'avions qu'un seul mot
mon amour mon amour
Pour que renaisse dans l'ombre
un visage armé d'un sourire
pour qu'une claire certitude
délivre l'espoir dans les yeux
nous n'avions qu'un seul mot
mon amour mon amour
Gilbert Socard, " Poésie présente"
Le caillou blanc
Bien serré au creux de ta paume,
Le caillou blanc ramassé en chemin
S'est endormi, tiède comme un oiseau
Mais soudain on dirait qu'il bouge,
Il vient de frémir dans ta main,
C'est un coeur qui bat sourdement,
Un simple caillou blanc
Comme le coeur du monde dans ta main.
Pierre Gabriel, " Chaque aube tient parole"
Lors des nuits d'hiver
La queue blanche des étoiles filantes
Brille un peu plus longtemps
Akiko Yosano
Madame
tes seins sont deux filles qui jouent
à se frapper quand tu laves ton linge
L’arc-en-ciel de ton regard est tendu dans l’écume
Qui te verrait soutiendrait que tu ne souffres pas
Il ne saurait pas qu’au pied de ton bac à lessive
s’entasse une partie de ton histoire
Le sifflement que tu entonnes
est le fil sur lequel tu accroches ta fatigue
Le vent est un gamin moqueur
qui tire et tend ton linge
Sur les arbres de l’orient
le soleil est un nouveau-né
qui répand ses larmes tièdes et jaunes
// Briceida Cuevas Cob (Mexique, née le 12/07/1969 -)
Où le sable détourne…
Où le sable détourne
Où le vent rature
Où le jour creuse et vrille
Où le jour ouvre large illimité
Où la nuit désancre
Où la nuit déporte
Où la marge fulgure
Où la vacance attise
Où la parole écarte
Où le silence joint
Où la neige n’est plus
Que veilleuse clarté
Où le corbeau s’estompe
Dans ses croassements
Où l’hiver mène haut
Sa chasse de roideur
Où c’est prendre visage
Que brûler d’une attente
Là ma demeure
Flamme profondément
//Paul Chaulot (1914 - 19/12/1969)
J’aime cette terre
Si j’étais un oiseau,
Je chanterais d’une voix rauque :
La terre battue par les pluies des orages
Les fleuves tourmentés qui toujours nous inondent,
Ce vent furieux qui souffle éternellement,
Et ces aubes uniques et douces derrière la forêt…
Ensuite je mourrais,
Et même mon duvet se décomposerait sous la terre.
Pourquoi souvent des larmes dans mes yeux ?
Parce que j’aime cette terre profondément…
// Ai Qing
/ Traduction de Thierry Renard,
avec le concours de Joël Bel Lassen
Printemps
Tu te lèves un matin
Et tu te sens ému
Un rien te remplit de joie
Tu portes le Bien.
Tu t’entretiens avec les fleurs,
Les pierres, ta fenêtre
Tu comprends le déversoir du moulin
Et tu comprends l’oiseau.
Tu te prends à envoyer des baisers
À tout ce qui t’entoure.
Tu chantes à tue-tête.
C’est comme ça le printemps !
// Ghjuvan Teramu Rocchi
/ Traduction du Corse de Denis Montebello
Je connais tous les contes
Je ne sais pas beaucoup de choses, il est vrai.
Je ne dis rien d’autre que ce que j’ai vu.
Et j’ai vu:
que l’on berce le berceau de l’homme avec des contes
que l’on étouffe les cris d’angoisse de l’homme avec des contes
que l’on éponge les larmes de l’homme avec des contes
que l’on enterre les os de l’homme avec des contes
et que la peur de l’homme…
a inventé tous les contes.
Je sais très peu de choses, il est vrai,
mais on m’a endormi avec tous ces contes…
Je connais tous les contes.
// León Felipe (Espagne 11/04/1884 – 18/09/1968)
/ Traduction Jean-Michel Maulpois
Je ne m’adosserai à rien
Je ne m’adosserai à rien
Finalement
Je ne m’adosserai à aucune pensée
Finalement
Je ne m’adosserai à aucune religion
Finalement
Je ne m’adosserai à aucun savoir
Finalement je ne m’adosserai à aucun pouvoir
Vivre longtemps m’a appris au plus profond du cœur
À ne croire qu’en ce que je vois et entends moi-même
À ne me tenir que sur mes propres jambes
Face à l’adversité
Si je devais m’adosser à quelque chose
Ce serait seulement à un dossier de siège.
// Noriko Ibaragi
/ Traduction de Camille Loivier
Toute cette lessive
ce soir je veux
une fois encore
essorer
mes pensées
puisque ce matin
les femmes
ont brossé lavé
et passé
à l’eau claire
ma vieille chemise
mes poussiéreux principes
toute mon existence
demain matin je veux
rendre net
mon poème avec du vinaigre
des larmes de l’eau de Javel
avec rien que de la joie
et pour finir
essorer vigoureusement
mon amour le poser au soleil
et accrocher
tout proprement
toute cette lessive
devant la fenêtre
// Conrad Winter Alsace (01/01/1931 – 06/09/2007)
/ Traduction de Roland Reutenauer, avec la collaboration de l’auteur