Nos corps entrelacés, le rythme de notre souffle se ralentit. Une musique résonne en moi, je me sens danser devant le regard hypnotisant de Nataraja. Nous nous basculons d’avant en arrière, nos mouvements de bassins nous offrent une pénétration lente et, subitement, je me sens partir. Nous fusionnons parfaitement. Nos âmes se libèrent, s’enlacent. Nous ne formons qu’un. Des spasmes de joie me foudroient, un orgasme violent se propage alors en nous et nous irradie d’un amour infini…

Cette cinglée de nymphomane m’a présenté à toi, le sourire aux lèvres, quelques jours avant les fêtes de fin d’année.
Tu te souviens ?
Drogué à ta merde, tu me regardais d’une sinistre vénération…
Tristement fougueuse et imperturbable, je ne me suis pas posée de questions et, accompagnée de quelques amis, adolescents indomptables, nous avons tranquillement discuté.
Au moment de nous séparer, tu m’as gentiment proposé de me rapprocher de mon village ; m’évitant ainsi de rouler en stop. Tu en as bien sûr profité pour me suivre jusque chez moi.
Le jour de l’an, tu as sonné à ma porte et, malgré ta dégaine de branleur, mes parents t’ont ouvert et t’ont directement envoyé dans ma chambre.
Tu es donc entré, tu m’as violée et tu es reparti.
Durant le mois qui a suivi, tu me harcelais littéralement au téléphone. Tu ordonnais, à travers les grilles du collège, que les élèves aillent me chercher en vitesse. Ils me faisaient passer le message, me mettaient en garde contre toi. Tu étais apparemment connu… Je ne t’obéissais évidemment pas. Tu m’attendais alors à l’arrêt du bus qui me ramenait de l’école, puis tu me poursuivais dans la rue. Tu escaladais le portail de mon jardin, tu forçais les portes. Tu t’invitais chez mes voisins, pour m’observer de là-haut.
Je suis restée seule dans cette cave sombre, faiblement éclairée par le couloir d’où s’étendaient les lumières de l’étage. Dans ce lieu sans vie, ni bruit, je n’ai pas vu le jour depuis qu’ils m’y ont emmenée. Je ne sais plus si le soleil est levé, si nous sommes en journée ou en pleine nuit. Ils ne m’ont quasiment pas adressée la parole et ont toujours refusé mes questions. Je ne sais rien d’eux hormis qu’ils semblent à l’aise dans cette situation : je ne dois pas être la première. Je les ai insultés, menacés de les envoyer en justice et, pourtant, ils sont restés imperturbables. Ils sont restés distants, se sont contentés de me garder enfermée, bien attachée, et de m’apporter ce dont j’avais besoin : nourriture immangeable et seaux d’eau savonneuse pour la toilette, en attente de mon « futur Maître ».
Nous entrons dans le manoir, des femmes nous accueillent. Elles sont habillées de robes pour certaines, de lingeries pour d'autres.
— Je peux lui souhaiter la bienvenue Maître ? demande, presque euphorique, l'une d'elles à l'homme qui m'a amenée ici.
Je suis paniquée. Pourquoi l'appelle-t-elle « Maître » ? Pourquoi se soumet-elle avec autant d'enthousiasme à cet homme qui m'a enlevée ? Elle semble pourtant intelligente et si belle, avec ses longs cheveux ondulés tombant sur ses épaules, vêtue d'une robe blanche assez courte, la poitrine bien mise en valeur.
— Bien sûr. Je te la laisse quelques temps, explique-lui comment se déroulera son séjour.
— Avec plaisir, Maître.
Il s'en va, sans un regard, me laissant seule avec ces quatre femmes soumises à ces hommes dont j'ignore tout.
— Tu n’es pas bavarde. Tu le seras bien plus quand tu me comprendras, je n’en ai aucun doute, me dit-il d’un ton décisif en commençant son tableau.
Les rideaux sont fermés. Je ne devine pas le temps qu’il fait, le temps qui passe. Il fait bon dans la pièce. L’homme qui me retient enfermée fait régulièrement des allers-retours à l’évier de la cuisine, change son eau, rince ses pinceaux, nous offre des pauses café-thé pendant que le châssis sèche, m’offre des caresses avant de s’y remettre. Poser s’avère érotique et sensuel. Peut-être est-ce dû aux orgasmes violents qu’il m’offre, malgré les quelques douleurs qu’il m’inflige. La situation devient excitante et mon corps ne s’en cache pas.
— Aujourd'hui c'est ta remise de collier, me murmure Monsieur Rogue en ouvrant ma cage.
C'est le matin, il doit être sept heures trente comme à chaque fois qu'il me réveille.
— Comment ça ma « remise de collier » ?
— Tu n'as pas remarqué que les soumises ont toutes un collier ?
— Si.
— C'est à ton tour. Nous allons faire une petite cérémonie pour fêter l'événement, car aujourd'hui tu deviens officiellement ma soumise attitrée.
Il me stresse dès le réveil. Je ne sais pas quoi dire, je suis à la fois choquée et pas encore tout à fait lucide.
— Habille toi de ta robe rose et va déjeuner avec Elena, je viendrai te chercher dans la matinée.
Cela doit bien faire six mois que je n’ai pas écrit la moindre ligne. Je profite d’être très très légèrement bourrée, disons que j’ai bu trois bières et deux gros verres de vin rouge.
Je fais craquer mes doigts en écrivant ce paragraphe. Mon psychiatre, décédé récemment par le covid, me disait alcoolique. Je ne l’ai jamais cru, aujourd’hui il est vrai que je me pose quelques questions. J’ai besoin de sentir l’effet de l’alcool dans mon sang. Je ne compte plus les soirs où j’ai fini par perdre toute conscience dans les bars ou chez des amis, finir chez la croix rouge en festival par exemple [...]
— Au repas, d’un coup, sans rien contrôler, c’est arrivé une deuxième fois. Cet état m’a à nouveau transportée, je ne pouvais plus bouger, ni parler. Mon égo n’était plus, je me sentais dissoute. Je quittais mon fardeau, sans peur, j’étais libre. J’affichais certainement un sourire béat. Je n’étais qu’amour. Cette fois-ci, j’ai vu la vie que je menais ; notre société malade et ses règles improbables, notre mode de vie effarant. J’ai eu un fou rire intérieur en observant, avec un recul colossal, l’humain.
J’ai entendu une femme me suppliant de l’aider. Elle était en pleurs, elle n’en pouvait plus. [...] Cette femme criait, de sa voix aiguë, contre quelqu’un. Elle voulait qu’il la laisse tranquille, elle paraissait se débattre contre cette personne. Je l’ai à mon tour supplié, de se taire, de me laisser. J’étais trop mal pour pouvoir être en capacité de l’aider. Elle n’a rien voulu savoir, elle a continué à me crier à l’aide. Puis, sans réaction de ma part, elle a fini par me laisser.
Mes trois psychiatres m’ont diagnostiquée schizophrène paranoïde. Cela se traduit par des hallucinations, des sentiments de persécution, des grosses difficultés à gérer mes émotions et à vivre socialement.
Je ne suis pas d’accord avec eux. J’ai, certes, de grosses difficultés sociales et une tendance à me sentir persécutée, [...] mais ce qu’ils appellent « hallu » n’est simplement qu’une représentation du monde invisible dans le monde matériel, que j’arrive à percevoir.