Abel Assecq

Dan Leban, Michigan

— J’ai trouvé cette première journée, très éprouvante, mais aussi très excitante, sourit Dan. L’ambiance était très tendue, dans la salle, très concentrée.

Pour ce qui est de ma tenue, je suis assez confiant. Elle a semblé plaire à Jim, même s’il m’a encouragé à y aller à fond. Je suis bon dans mon timing, sans être en avance, je ne suis pas en retard ! J’ai hâte d’être à demain, pour voir ma robe portée par un vrai modèle. Ce n’est qu’à ce moment-là, qu’elle deviendra réelle, si vous comprenez ce que je veux dire… Tant qu’elle est suspendue sur un cintre ou sur un mannequin en bois, elle n’est pas complète. Elle doit défiler sur le podium, bouger avec la personne pour révéler toute sa splendeur.

Kharon sentit son esprit se vider plus rapidement que l’eau de sa baignoire. Il n’avait pas la moindre idée de la manière dont on séduisait quelqu’un et encore moins un oméga. Il était le Prince héritier, il n’avait qu’à se baisser pour trouver une personne qui accepterait de partager sa couche. Évidemment, aujourd’hui c’était hors de question. Ardeshir l’étriperait et suspendrait ses intestins à sa porte pour que cela lui serv e de leçon à lui et à tous ceux qui oseraient l’énerver. D’ailleurs, est-ce que le fait d’avoir pensé qu’il pouvait se dégoter un amant était suffisant pour éveiller sa jalousie ? Est-ce qu’il allait à être en colère ? Dépêche-toi de songer à autre chose…

Si les choses avaient été différentes, cette histoire aurait pu commencer par il était une fois. Elle aurait pu parler d’un prince et d’une princesse et de la manière dont leur amour avait sauvé deux royaumes de la guerre sans fin qui les consumait.

Mais les choses étant ce qu’elles sont, cette histoire va débuter autrement, parce que l’amour ne peut rien vaincre seul, parce que parfois, le désespoir peut faire plus.

Cette histoire démarrera par une malédiction. Une malédiction engendrée par la tristesse et l’impuissance.

Dan fut sorti une nouvelle fois de sa concentration en entendant Ruth pleurer bruyamment. Tous les autres couturiers se retournèrent pour comprendre ce qu’il se passait, jusqu’à ce qu’elle parte en faisant claquer ses talons sur le sol.

— T’inquiètes pas pour elle, lui dit Franck.

— Elle aurait dû être éliminée à la dernière épreuve, pas Mary, confirma Lucinda.

— Si tu n’as pas le niveau, tu n’as rien à faire ici, finit par dire Scott.

— Pour finir, dit le chaperon, je vous rappelle que nous faisons avant tout de la télévision. Alors n’oubliez pas, il ne faudra pas vous contenir lorsque vous serez face caméra. Nous sommes presque arrivés, vous allez découvrir l’atelier et on attend de vous des réactions de surprise et d’émerveillement. N’en faites pas des tonnes, restez vous-même, mais montrez que vous êtes heureux d’être là. Vos émotions doivent être ressenties par les téléspectateurs derrière leur écran, même s’ils ne regardent que d’un œil, même s’ils sont occupés à faire autre chose, même s’ils sont dans le coma. Ensuite, les présentateurs arriveront, vous parleront de l’émission, vous expliqueront ce qu’on attend de vous. Et enfin, la première épreuve commencera. N’oubliez pas que l’équipe technique viendra régulièrement vous voir et que vous devrez toujours lui répondre, cela fait partie du contrat que vous avez signé, peu importe à quel point vous serez en retard ou dans la merde. On s’en contrefiche. Si vous ne vous conformez pas à cette consigne, c’est avertissement et renvoi. C’est clair ?

Je répondrai de mes actes devant mes électeurs, s’ils veulent savoir pourquoi j’agis de cette manière, je leur dirai la vérité, pas ce qu’ils ont envie d’entendre ou ce que des gens croient qu’ils ont envie d’entendre.

— Êtes-vous en train de nous expliquer que vous soumettre à toutes nos questions sans vous défiler ? demanda le journaliste.

— Exactement, Dennis.

— L’absolue vérité ? insista-t-il

— Oui », affirma Philip, le regard sincère et direct. Dennis exulta intérieurement, il se fichait totalement de la sexualité de ce type, mais avoir un gouverneur prêt à répondre franchement à ses interrogations pouvait valoir de l’or et un sacré record d’audience.

— Vraiment ? Et bien, commençons, suggéra Shirley. Comment trouvez-vous ma tenue ?

— Excusez-moi ? demanda Philip.

— Et il t’a demandé de tout lâcher pour venir le retrouver. Il m’a fait le même coup, mais avant de passer à la télé…

— C’est quelque chose qu’il fait souvent ?

— Ça dépend… Tu parles de quoi exactement ? D’être un gros égoïste qui pense que tout le monde est à son service ? Prendre une décision aussi énorme que de se présenter à l’élection présidentielle, cinq minutes avant de se lancer ? Envoyer bouler une journaliste ? Se la jouer comme une star et faire des sorties théâtrales ? Ouais… assez souvent.

Jonathan soupira, ce type serait vraiment un enfer à gérer.

— Comment va-t-on faire pour le maîtriser ?

— Ah, non, non ! nia-t-il avec bonne humeur. Ça, c’est ton boulot. Moi, il est hors de question que j’essaie même de lui faire manger de la salade.

— Qu’est-ce que t’as encore fichu, Philip ? cria une voix dans son oreille.

— Salut, Tommy.

— Tu devais deviner pourtant à quoi t’attendre avec ce type. Ce n’est pas dans tes habitudes de perdre tes nerfs.

— Je sais, Tom. Mais ce journaliste m’a vraiment foutu hors de moi avec ses remarques racistes et homophobes. Et comme si ça suffisait pas, il est aussi antisémite et islamophobe par-dessus le marché, ce connard.

— Et donc, ta solution c’est de faire ton coming out en pleine interview, en direct et à la télévision ?

— C’est sûr que dit comme ça, soupira-t-il en massant doucement son épaule gauche.

— Philip, je sais que tu ne voulais pas en entendre parler, mais là… T’as vraiment besoin d’un chargé de comm.

Il se redressa prêt à s’enfuir à la seconde où les portes s’ouvriraient. Il s’avéra que Philip fut plus rapide que lui, il planta sa main sur le mur et positionna son corps entre lui et la sortie.

— À quel point, êtes-vous ivre ? lui demanda-t-il

— Pardon ?

— Est-ce que vous avez trop bu ?

— Non, je suis tout à fait conscient de ce que je fais ou dis d’ailleurs !

Idiot, pensa Jonathan. S’il avait acquiescé, il aurait pu mettre son comportement sur le dos de l’alcool.

— Bien.

Il vit alors le gouverneur appuyer sur le bouton de son propre étage.

— Monsieur, est-ce que vous pourriez vous déplacer que je puisse sortir ?

— Non.

La discussion allait devenir délicate. Son cabinet n’avait aucun problème pour résoudre ce genre de situations. Mais il fallait maintenir une ligne de travail très stricte qu’il ne devait jamais franchir. Il pouvait triturer un peu la loi, l’étirer à son extrême, mais ne jamais faire quelque chose d’illégal. Il s’agissait de la seule règle que leur imposait Éric. Enfin, à part faire de l’argent évidemment. Il devait donc réfléchir à un moyen de satisfaire sa demande, sans se mettre en porte-à-faux.