le commissaire regarde son nouveau adjoint.
- pour une première enquête tu es servi, mais qu,
est que qui leur prend,a ces
curés , d aller faire les zouaves chez les putes, qu'il se marient, sacré mon d
un chien. qu'il se marient et qu'il nous foutent la paix,
avec leurs braguettes.
Il prévoyait aussi une de ces plongées harassantes dans une certaine bohème mondiale, dans l'intelligentsia snobinarde, le "hippy" de luxe, le maoïste à Ferrari, la starlette entretenue, le décorateur homosexuel, le couturier dans le vent, le "gourou" tout droit débarqué de Katmandou, le chroniqueur mondain qui tutoie tout Paris, le metteur en scène sur le retour, la princesse (russe ou italienne) sexagénaire, avec ses bijoux et son gigolo de service, l'auteur dramatique espagnol, grec ou scandinave, anti-fasciste et scandaleux ; enfin, la faune, toujours pareille à elle-même, qui gravite dans le même cercle étroit, avec ses crises de nerfs, ses coucheries, ses parlotes, ses tics, ses rites et ses vanités.
Il les précéda dans un vestibule carrelé et poussa une porte. Ils pénétrèrent dans une vaste salle quasiment nue, tendue de draperies imprimées de fleurs pavot. Sur le sol, à différents niveaux, des coussins géants. Partout, des châles de soie imprimée et des draperies de soie indienne. Ce genre de décor était la dernière mode depuis que la mère de Jacky Onassis avait fait transformer son salon en une sorte de campement de gitan de luxe.
"La Vaguelette", avec ses tonnelles fleuries, son ponton où tiraient mollement sur leurs chaînes une demi-douzaine de barques à la peinture écaillée, s'inscrivait dans ce type de caboulots chers à l'intimisme populaire de l'entre-deux guerres. On s'attendait à voir Michel Simon et Arletty surgir de la salle du café-bar, et le Gabin sans bedaine des années trente, tombeur des filles à la dérive, arriver en chaloupant.
Le coin était joli, d'ailleurs, bien choisi pour que les clients puissent déguster leur friture en se reposant les yeux sur la verdure.
Lecerf arrêta la 404 noire sur la place du village. Beuvigny était une de ces petites villes grises et proprettes avec leurs toits d'ardoise grise et leurs ruelles étroites. Située en dehors des grands axes routiers, elle avait visiblement conservé le rythme monotone de toujours. Il ne semblait pas que la vie eût tellement changé, ici, depuis cinquante ans. Le seul changement notable paraissait résider dans la floraison des antennes de télévision au-dessus des toits pentus.
Le commissaire divisionnaire Lucien-Napoléon Paolini ne se portait bien que l'été. C'est dire qu'il ne jouissais pas d'une santé enviable pendant trois saisons sur quatre.
Le climat parisien lui était fortement déconseillé. Il développait, dès les premiers froids, un rhume magistral qui s'engraissait et "perdurait" jusqu'à la fin du printemps.
Paolini était célèbre, au Quai des Orfèvres, pour ses cache-nez interminables, ses chandails tricotés par ses nièces corses et les innombrables remèdes, homéopathique ou non, qu'il ingérait chaque jour.
Mais, l'été venu, soudain, le petit Corse redevenait lui-même. La chaleur le ressuscitait. Il s'épanouissait alors comme un poisson échoué qui, soudain, retrouve son élément naturel.
Un instant plus tard, une fille aux lourdes jambes musclées arrivait en se dandinant. Ses fesses saillaient sous une minijupe de soie noire. Les seins, aussi, tendaient le tissu à craquer. On avait l'impression que la nature avait comprimé dans cette fille presque de quoi fabriquer deux femmes normales. Et, sur cet amas de tétons et de fesses, souriait une petite face aux yeux bleus étonnés, sous une chevelure frisée.
- Voilà, dit-elle, bien frais et sans faux col !
A quoi servaient finalement ces conférences ? A dépenser des millions qui seraient bien mieux employés ailleurs, à utiliser des armées de traducteurs, de sténodactylos, de mécanographes et d'inspecteurs comme lui, Domingo, chargés de veiller à la sécurité des pontes rassemblés là, à noircir des tonnes et des tonnes de papier. Et puis le monde continuait d'aller comme avant : les pauvres restaient pauvres, les puissants restaient puissants et, du haut en bas de ce continent, on trouvait le même nombre de gosses affamés, de putains de moins de quinze ans et de péones illettrés.
A chaque fois que le commissaire avait à connaître d'une de ces affaires qui mettaient en scène le Milieu et sa faune de truands et de caïds, il éprouvait un sentiment d'agacement prodigieux en songeant à l'usage incroyablement faux qu'en faisait le cinéma. Le mythe du truand est une des plus ahurissantes entreprises de mystification de la société actuelle. Rien n'est en fait plus vil, plus bête, plus cruel, plus lâche que le truand ordinaire. La fameuse loi du Milieu est, en fin de compte, une assez horrible loi de la jungle qui permet à ces messieurs de se trahir et de s'assassiner à loisir. Le commissaire éprouvait un haut-le-cœur quasiment incoercible à chaque fois qu'il avait, assis en face de lui, un de ces gaillards au coefficient mental de protozoaire, sournois et violent. Et la rage le prenait en songeant que, par le miracle de l'imagination de quelque scénariste qui cultivait soigneusement son personnage bien parisien d'ancien truand et sa légende d'ex-caïd, ce primate rosseur de femmes et tueur de pauvres bougres allait se transformer en archétype héroïque et en séducteur fatal.
Raoul Lagrouzes n'était pas fait pour les grandes passions. Il ne tenait pas la distance. La fatigue l'avait pris très vite. Les cris, les larmes, les pâmoisons de sa femme le courbaturaient. Il aspirait au repos, au calme, à la popote, au train-train. Il rêvait parfois d'une de ces grandes Flamandes placides, une de ces belles génisses auprès de qui il doit faire bon vivre la vie de chaque jour.