Alain Bagnoud Prix des lecteurs de la Ville de Lausanne
C’était un poète. Il écrivait des vers qui jaillissaient comme des fusées ou faisaient long feu. Parfois c’était une explosion dans le ciel noir. Parfois ça s’écrasait sur le sol en sifflant. Mais il ne se décourageait pas, en tout cas au début. Huit livres publiés. Le reste du temps, il jouait dans une fanfare, se soûlait dans les cafés, chantait du Brel pendant la cuite ou se levait au milieu des tournées pour clamer du Rimbaud, le modèle, dont il connaissait les poèmes par cœur. Rimbaud à cause, ou grâce à qui, il avait abandonné l’école.
La lumière semblait celle d'un rêve, le silence avait une consistance épaisse. Un homme est sorti de la forêt. Il ressemblait à un paysan du siècle passé : chemise sale, pantalon qui pochait, grosses chaussures, nez proéminent, chapeau cabossé, faux sur l'épaule, regard méfiant. Le décalage a duré jusqu'au bruit d'un avion de chasse qui a fait revenir le présent comme une lumière qu'on rallume.
Il me semblait que d'autres pratiques plus classiques me conviendraient aussi : du yoga, ou de la méditation zen, ou l'adoration du Saint-Sacrement posé dans la lumière dorée au sommet d'une église sombre... Et si j'avais simplement besoin d'un exercice qui permette de faire le silence, de se tenir sur la frontière entre le moi et l'extérieur, d'accepter le réel ? Quand il n'y a plus que le souffle, les bruits. Quand le regard devient observateur de monde qui s'agite.
Son accent vaudois généreux aurait pu être enregistré par les linguistes comme exemple de patrimoine immatériel.