Alain Guilldou

Etudiants appliqués avec peu d'amis, leur travail universitaire terminé, les deux jeunes gens se livraient à des recherches approfondies sur les réactions chimio-épidermiques du corps humain quand il se trouve en présence du genre opposé. Nul besoin de bibliothèques pour préparer ces travaux pratiques. C'était inné chez eux, et ils auraient pu écrire une courte thèse sur ce sujet qu'ils avaient fouillé avec plus de professionnalisme que la police scientifique n'explore le domicile d'un tueur d'enfants. Malheureusement, il y avait fort à parier qu'un tel ouvrage n'aurait pas retenu l'attention de leurs professeurs. Du moins pas ouvertement, car les deux jeunes chercheurs ne doutaient pas que certains enseignants se seraient empressés de s'enfermer à clé pour savourer les détails de leurs travaux et effectuer un crosschecking avec la première personne consentante venue.

La jeune femme revêt en un éclair le camouflage d'ingénue qu'elle sort de son sac à malices quand un individu l'importune.
-Je peux vous parler franchement, Abe-san ?
-Oui...oui...
-Vous ne m'en voudrez pas ? Je ne risque pas de vous paraître insolente ou impudente ?
-Non, non, je vous en prie, s'empresse de répondre M.Abe, bien que le sens du dernier mot employé par Moeka lui échappe.
(..........)
-C'est dommage que vous habitiez Yokohama, ajoute la jeune femme.
Son chef sent une fine humidité perler sur sa colonne vertébrale, tel un filet d'eau le long d'une racine hors-sol. Le visage de son épouse lui apparait à la façon d'un ectoplasme avant de rejoindre le paquet de soucis sans importance qui ne l'incommodent pas plus que des poissons-pilotes ne pèsent à un requin.
-Il m'arrive de rester à Tokyo...enfin, disons que je peux m'arranger pour rester à Tokyo. Pourquoi ?
La jeune femme regarde autour d'elle pour vérifier que des oreilles n'ont pas été oubliées dans le wagon.
-Eh bien, avec deux amies, nous nous réunissons pour boire un verre certains soirs et... je me demandais si cela serait inconvenant de vous inviter à vous joindre à nous ...demain, samedi.
M.Abe, parfois fort en gueule, a du mal à maintenir ses mâchoires fermées. Le haut des fesses le picote comme s'il redoutait d'y recevoir la piqûre d'une infirmière débutante. Il respire profondément pour ne pas balbutier.

-Si vous étiez mariée, Heidi, vous comprendriez.
Du bout des ongles, elle pianote sur la table. Ses doigts sont distingués, ses mains légèrement halées, sans bague. Elle reprend :
-Vous savez ce qu'est un bracelet électronique ? Ce bracelet que des prisonniers sont obligés de porter pour qu'on sache où ils se trouvent. Eh bien, une alliance, c'est assez comparable. Elle vous assigne à résidence et vous rappelle en permanence que vous avez pris un engagement.
-Un bracelet électronique, c'est quand on a commis un crime, oppose Yuzumi.
Heidi frémit en entendant ce mot.
-Bien sûr, confirme la femme. En l'occurrence, l'alliance est un outil préventif qui vous engage à vous autosurveiller.

Le capitaine Masoto se retournait souvent au passage d'une jupe qui ondule, d'un T-shirt estival moulant, d'un manteau de fourrure cache-secrets. Une sorte de test qui le rassurait sur la bonne coordination entre ses globes oculaires et sa testostérone. Toutefois, en présence de son supérieur, à qui le manège n'échappait pas, il refoulait tout mot flatteur vers une silhouette en approche, et ravalait sa salive.
Il appartenait à la race des chasseurs solitaires qui pistent une proie facile, un coeur blessé, un visage d'ange. Mais il ne répugnait pas à se laisser entraîner par une poignée de donzelles éméchées en quête d'émotions fortes.

Il avait appris à ne pas se fier aux devantures des restaurants, sauf quand les cafards faisaient la queue pour entrer. Un endroit moche réserve parfois une bonne surprise. Et inversement.